Somme impressionnante de témoignages sur Miles Davis

WE WANT MILES AHEAD


À l'occasion de l'exposition magistrale consacrée à Miles Davis à la Paris (1), Actes Sud publie une somme de témoignages de grands musiciens de jazz sur celui qui reste, incontestablement, le plus éminent d'entre eux, le plus rock star et dont le nom vient sans doute en premier à l'esprit du non-spécialiste comme représentant de cette musique si variée et si riche. Plus qu'une légende vivante, toujours vivante, Miles Davis est à lui seul l'Histoire du jazz.

« Quand je joue, je pense à la façon dont, avec sa trompette, il arrivait à créer quelque chose de magique. »
John Scofield

Si Miles Davis est un monstre sacré du jazz, c'est qu'il est parvenu, au fil des années et d'une discographie impressionnante par son immensité et sa diversité, à faire sienne toute la musique. Il y a Louis Amstrong, qui sort le jazz du ghetto noir, et Miles Davis, qui en fait un genre à part entière. Son évolution musicale fait corps avec celle du siècle, et le plus souvent c'est lui qui est à l'initiative des « progrès » vers le cool (So what !), le classique (son Concerto de Aranjuez est un monument), le free déjanté (Live Evil) et l'électro (Tutu). Toujours entouré des meilleurs musiciens de la planète, il donne à chaque expérience la force d'une innovation, au point que, pour l'auditeur non averti, à part le son particulier de sa trompette, on croirait volontiers entendre des musiciens différents.

« Miles, c'est le mouvement perpétuel. Dès qu'il fait un truc, il passe à autre chose. Il n'était jamais dans le passé, d'ailleurs il avait horreur de faire deux fois la même chose. »
Manu Dibango

Miles Davis avait en effet cette capacité particulière de tout reprendre de zéro à chaque nouvel enregistrement, à chaque nouvelle ère qu'il inaugurait. À chaque fois, il repensait les bases de son art sans tenir compte des acquis et renouvelle toujours son rapport à la musique. Il est prétentieux parce qu'il joue de dos ? non, il fait corps avec ses musiciens et cherche le meilleur son. Cette mauvaise image, appuyée sur des frasques d'une vie qui fut très difficile et qui se finit en superstar dont on supporte bon gré mal gré toutes les frasques de mauvais garçon qui n'était rien d'autre qu'une manière de se préserver, de se cacher derrière un masque, tout de Miles est dans la générosité de sa musique.

« Pour moi, Miles est avant tout une source d'inspiration musicale. Une source d'inspiration créative en général. Il est toujours avec moi. Je pense souvent à lui. Quand je pense à lui, j'entends sa musique, le son de sa trompette. Je n'oublierai jamais son conseil : "Sois toujours prêt à jouer ce que tu ne sais pas". »
(Jack Dejonette)

La liste des intervenants dans cet ouvrage mémorial est impressionnante aussi bien qu'étonnante, et même si l'on cherchait à ergoter sur tel nom de quasi inconnu présent et tel autres d'indispensables mais absents (Keith Jarrett, qui a consacré un album hommage à Miles Davis, et qui a été organiste pour Live-Evil, notamment, mais Keith Jarrett n'est pas le plus accessible des hommes...), sur les redites inhérentes à ce genre d'ouvrage, il faut reconnaître à Franck Médioni, éminent jazzophile, d'avoir su réunir une magnifique assemblée. Lire les hommages de Ron Carter, Jack Dejohnette, Herbie Hancock, Ahmad Jamal, John McLaughlin, Mike Stern ou Joe Zawinul, pour les plus éminents d'entre eux, parmi les quatre-vingts grands musiciens, est assez émouvant pour qui a été formé dans sa vie propre par l'écoute du jazz. La préface de Francis Marmande, et l'entretien de Juliette Gréco, qui fut l'amante de Miles, complète bellement cet ouvrage d'importance pour tout amateur de jazz, pour tout musicien, pour tout le monde.

« Je n'ai jamais eu l'impression qu'il essayait de prouver quoi que ce soit ou de démontrer qu'il était plus grand qu'il n'était. Il était déjà grand... Et je peux vous dire que chaque fois qu'il prenait sa trompette, et même s'il ne jouait qu'une note, une seule note, la magie opérait. »
Dave Holland

Loïc Di Stefano

(1) We Want Miles : Miles Davis, le jazz face à sa légende.


Franck Médioni, Miles Davis, 80 musiciens de jazz témoignent, Actes sud, octobre 2009, 523 pages, 45 euros

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