L’ironie glaçante des « Furies de Boras » d’Anders Fager

Avec Les Furies de Boras, les Éditions Mirobole publient le troisième volume de leur collection « Horizons Pourpres » destinée à la littérature fantastique. Disons-le d’emblée, elle est toujours bien là, la hardiesse éditoriale de Mirobole, cette jeune maison bordelaise dont les publications originales enchantent les lecteurs depuis près d’un an déjà. Après la Russie, le Danemark ou la Pologne, place cette fois-ci à la Suède.

         Anders Fager est un écrivain suédois, auteur de plusieurs recueils de contes horrifiques dont le volume intitulé Les Furies de Boras nous offre une sélection : treize textes en tout, allant d’une huitaine à une cinquantaine de pages, unis par un goût prononcé pour l’horreur mâtinée de sexe et saupoudrée de drogues en tous genres, d’où des rapprochements souvent effectués avec John Ajvide Lindqvist et H. P. Lovecraft (à dire vrai, n’étant pas familier du premier, je ne peux entériner que les références au second).

          Aux dires de la traductrice, Carine Bruy, qui livre un texte remarquablement fluide et dense, le choix qu’elle a opéré dans les trois recueils de Fager a été avalisé par l’auteur lui-même, en tant que cohérent et représentatif des différents aspects de son écriture. Mais peut-être est-ce la volonté de diversité qui explique certaines faiblesses des Furies de Boras. On peine ainsi à comprendre pourquoi une nouvelle comme « Le Vœu de l’homme brisé » s’est inséré dans l’ensemble, et on est parfois gêné par l’inégalité des textes – problème inhérent à tout recueil de nouvelles, mais criant, par exemple, quand au démarrage tonitruant des « Furies de Boras », récit déchaîné d’une transe orgiaque dans une lande suédoise, succède un texte semi historique, où l’horreur tient plus banalement aux atrocités commises par des soldats.

          Pourtant, et c’est l’une des originalités et des réussites de ce recueil, la recherche de cohérence revendiquée par la traductrice n’est pas un vain mot. La réserve formulée ci-dessus mise à part, le volume tisse en effet un réseau d’échos (certains personnages, certains mythes se retrouvent d’un texte à l’autre) qui construisent un univers inquiétant et glauque juste sous la surface d’une normalité affligeante d’ennui, de médiocrité et de stupidité. Les personnages d’Anders Fager sont souvent des solitaires trop faibles, trop laid, trop marginaux ou trop peu sympathiques pour que l’entourage leur accorde l’attention qui aurait peut-être permis de déceler le potentiel de violence ou de folie qu’ils recelaient, à l’instar de ces vieillards (dans « Un point sur Vasterbron ») dont les raisons du suicide collectif resteront à jamais un mystère, ou de Malin Mansson, gérante ingrate et peu sympathique d’une boutique d’aquariophilie (qui « évite au maximum le contact avec les gens » dans « Trois semaines de bonheur »), dont les agissements hallucinants s’opèrent sans que personne ne remarque rien.

    Empoigné par un style énergique et impitoyable qui, sans être complaisant pour autant, désigne les choses crûment, le lecteur entre dans un univers régi par des puissances qui n’ont rien d’humain, au sens où elles ignorent toute considération morale, rationnelle ou raisonnable, à moins qu’elles ne soient au contraire terriblement humaines par leur incapacité à s’intégrer dans une sociabilité normée. Tel semble bien être le sens de l’ironie glaçante qui imprègne Les Furies de Boras.

 

Anders Fager, Les Furies de Boras, coll. «Horizons pourpres», Mirobole Éditions, janvier 2014, 345 pages, 21,50 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.