Hélène Zimmer : hier comme aujourd'hui ?

Après Fairy Tale (2017) Hélène Zimmer continue à transformer ses romans en acte de résistance. Dans cet opus précédent, au moment où tout semblait tomber en charpie, l'auteure offrait un portrait d'une femme victime pugnace et endurante. Surtout victime d’elle-même via les substrats culturels qui l’ont conditionnée.

Ici elle prend en quelque sorte de contrepied. Le destin de son héroïne semble pourtant s'ouvrir de la manière la plus noire. Son héroïne (Zulma) est née dans une ferme en 1889. Surnommée Vairon à cause de ses yeux dépareillés, elle quitte sa mère à vingt ans, pauvre, affamée et mère d'un premier enfant pour Paris.

Elle découvre les quartiers déshérités de la capitale mais aussi des idées révolutionnaires qui agitent l’Europe. L'auteure évoque son éducation sexuelle, politique, existentielle. Elle s’enflamme non pour les idées mais pour la vie anarchiste. Ce qui est bien différent. Son objectif ? Se libérer de toute domination et vivre un féminisme radical, créateur.
Concevant son roman dans la douleur et une certaine retenue, l’auteur rappelle un univers quotidien de l'époque mais sublimé par la force d'une femme. Hélène Zimmer multiplie les traces d'une vie que l’écriture creuse entre dialogues et descriptions.
Le monde est évoqué de manière puissante, hallucinée, charnelle. S'empilent les mouvements libertaires, les utopies et désirs de repli communautaire mais aussi les angoisses apocalyptiques, les traumatismes post-attentats.

Tout cela n'est pas sans rappeler notre monde. La Belle Epoque devient le brouillon de ce que l'on a connu ou connaît depuis les années 70. La figure de l’anarchisme n'est plus cloué à l'était de symptome d'un temps spécifique mais comme un contre-pouvoir inhérent à tout état. Il s’inscrit ailleurs que dans le progrès. Il résiste, pendant que meurt le socialisme. Dès lors il ne pourrait qu'être conseillé à l'époque de "gilets jaunes" de lire ce roman où une femme échappe à son destin.
Existe là une "solution" pour celles ou ceux qui pour s'extraire de leur conditioin ne cherchent pas forcément à se glisser dans une autre. Bref l'auteure ne théorise en rien car parvenu à ce point aucune idéologie de sortie de crise est possible. Reste juste la désir d'exister, dans l'instant, sans se préoccuper de l'après. C'est aussi stimulant que sans doute sans issue dans le long terme. Zulma ne s'en soucie pas. Car elle a mieux à faire.

Si l’œuvre n'ouvre pas à forcément à une épiphanie de la forme romanesque, elle la porte au moment même où tout à la fois s'ouvre ou se termine dans une fatigue particulière et paradoxale puisqu'elle devient le moteur de l’œuvre, ce qui la réanime par une héroïne qui refuse de se taire.
Ce roman vient donc à point nommé. A savoir au moment où les révoltés comme ceux qui défendent un ordre semblent trinquer chacun de leur côté à la santé de ceux qui n'ont pas. Manière aussi de rappeler que dans chaque baleine du pouvoir existe un Jonas - ou une Zulma.

Jean-Paul Gavard-Perret

Hélène Zimmer, Vairon, P.O.L éditeur, janvier, 2019, 208 p.-, 18 €
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