Serge Bec, in memoriam

Les pays du Luberon sont en deuil, et la Provence tout entière.

Le poète Serge Bec s'en est allé. Il fait partie des voix qui se sont levées dès les années cinquante ; par l’esprit renouvelant la langue provençale pour mieux, non la défendre, mais la continuer, la faire vivre délivrée de ses carcans et modernes entraves.
Cela, en son cas, via un surréalisme pas plus fabriqué que cousu de fil blanc qui, comme un cri à la fois aigu et puissant, lui montait au contraire bel et bien du plus profond des entrailles. Pas du genre, du tout, à nous faire avaler la moindre cigale à la lavande !

N’empêche – innover n’étant pas renier l'essentiel –, c’est en subtil héritier des XII et XIIIe siècles occitans, qu’il chante et célèbre intensément l’amour à travers celui de sa femme en même temps que de sa terre natale où son œuvre s’est tout naturellement enracinée.
Contre toute sclérose, tout repli, guerre des graphies y comprise, ce guerrier spirituel n'y allait pas de main morte : en effet, n’écrivait-il pas, entre autres, en une forme de court manifeste avant-gardiste intitulé Responso a un ate d’accusacioun : Fau grafigna la rusco, mettre la plago au viéu e faire sauna…
C’est-à-dire : Il faut gratter l’écorce, mettre la plaie à vif et faire saigner…

Par ailleurs dramaturge, romancier, chroniqueur, il s’intéressa aussi à la peinture, publiant, en 1969, un très attachant Mini-guide des peintres du soleil dans lequel figure – en dehors de Vasarely – un choix très sûr de talents. Aussi, en 1972, quand son voisin et ami de Montjustin, le peintre Serge Fiorio, expose 29 de ses toiles - dont les dates de création s'étalent de 1934 à 1971 - à la Chapelle du Grand Couvent à Cavaillon, c'est, à sa façon poétique, Serge Bec, enfant du pays, qui présente l'artiste sur le carton d'invitation.

Voici son texte : Il y a ceux qui savent depuis toujours, d'instinct ou d'atavisme ; et ceux qui savent parce qu'ils ont appris. Ceux-ci sont des "intellectuels". Les premiers sont des artisans, maîtres d'œuvre. Ainsi Serge Fiorio. Il sait l'essentiel des choses de ce monde. Et, de ce fait, à travers l'immobile silence de sa peinture, il déclenche en nous la dynamique du mystère du monde.

Fiorio naïf ? Ses personnages le sont parfois, simplement, parce qu'ils sont des hommes simples ; ses sujets, anecdotiques parfois, le sont aussi, malicieusement.

Fiorio primitif siennois de la fin du Trecento ? La mise en page et l'équilibre harmonieux peuvent faire songer aux frères Lorenzetti, Ambrogio surtout.

Fiorio surréaliste ? L'atmosphère spatiale, la projection dans un certain au-delà d'un élément excessivement éclairé dans sa précise réalité, « comme dans un rêve », peuvent le laisser penser. Oui...mais en quelques mots, voici surtout « des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches », et puis voici Fiorio-Pur, Fiorio-Paix, Fiorio-Solitude, Fiorio-Lumière-Espace et Joie, Fiorio-Enfant de la Terre perdue et retrouvée, dominant sa vie. Voici Fiorio et son destin ouvert au merveilleux du cœur et de l'esprit, voici Fiorio-Essentiel.

Aro, a pieï maï Sergi !

 

André Lombard

Serge Bec, Obra poetica 1954-1960, Jorn éditeur, Montpeyroux, 2012, 215 p-., 21 €

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