Le Rasoir d'Ockham

Fascistes, loges et secrets compagnoniques, mondes sectaires et souterrains…

Au centre de la terre, puisant l'énergie absolue du Vril au Soleil Noir, des hommes primordiaux vivent cachés du commun des mortels. Seuls quelques illuminés ont connaissance de cette race supérieure dont la descendance terrestre sera composée uniquement d'aryens. La quête initiatique qui consiste à retrouver le chemin de la terre creuse (1) et de la prima materia fonde la Confrérie du Vril (Vril Gesellschaft), qui émane aussi de la société de Thulé et dont les travaux sur une sorte de socialisme primordial et surpuissant — avec par ci par là des emprunts aux illuminati de Bavière, à la Kabale, à la Théosophie, au mysticisme hindou, etc. — seront pour partie à l'origine de l'avènement du IIIe Reich, pour sa partie idéologique. Cette société secrète, la seule à n'avoir pas été dissoute par Hitler — ou pas officiellement —, est la prise au sérieux d'un livre de science-fiction, The Coming Race (Kommende Geschlecht) de Edward Bulwer-Lytton (1871). Tous les efforts et les recherches absolues seront alors faites pour trouver en vrai — le désir emportant la conscience — ce qui est né de l'imagination d'un écrivain, imagination par ailleurs également fondée sur une tradition humaine que l'on retrouve plus ou moins dans toutes les cultures : la force primordiale (le Chi, la lumière astrale, la force Odic, etc.) qui donne à celui qui la trouve en lui-même les moyens de maîtriser soi-même et le monde. 

Fiction ou transcription littéraire d'un savoir secret ? Quoi qu'il en soit, Bulwer-Lytton, lui-même initié aux rites rosicruciens, a fait des adeptes, car en plein Paris et au XXIe siècle, la recherche continue…

Cette confrérie du Vril, Ari Mackezie la croise alors qu'il enquête sur la mort d'un ami, le dernier lien familial, Paul Cazo, vieil architecte sans histoire retrouvé ligotté à sa table de salon, nu, drogué, le crâne percé et le cerveau littéralement liquéfié et vidé. 

Ari Makenzie n'est pas destiné à l'aventure et au terrain, c'est un flic un peu à part d'une section un peu à part : bien qu'ayant vécu une expérience active en Bosnie, il consacre son temps aux mouvements sectaires et mystiques qui pullulent de nos jours. C'est un enquêteur des sombres secrets et des ramifications, unique membre d'une section « x-files » qui va d'ailleurs peut-être disparaître tout bonnement...

Apparaît assez vite dans l'enquête l'étrange manuscrit d'un compagnon du devoir, Villard de Hautecourt, et surtout les six pages manquantes dont le décryptage donnerait l'emplacement d'un trésor miraculeux, ou, mieux, l'entrée du monde souterrain. Aidé d'une ancienne maîtresse qui a accès aux fichiers de la DST, d'un garde du corps imposé mais vite indispensable par son arsenal et son coup de main (beaucoup de problèmes se règlent ici dans l'action) et de ses propres démons quand sa petite amie est kidnappée, Ari va remonter la piste qui passe par toutes les couches de l'occultisme, de l'alchimie, des bandits industriels, d'une guerre des polices et d'un Etat qui cache quelque chose sous son lourd mais fameux « secret d'Etat » par lequel on va tenter d'étouffer les découvertes d'Ari. 

Le Rasoir d'Ockahm ou le Discours de la Méthode 

Quand tout se mélange dans d'improbables combinaisons et que notions se brouillent à force de voir la vérité à hue et à dia, cette méthode d'Ockahm qui consiste à passer comme un rasoir mental pour araser le terrain et, finalement, choisir la situation la plus simple d'où naît le plus souvent la vérité. C'est la méthode de travail de Makensie et c'est par elle qu'il délie un à un les nombreux fils dans lesquels il nous prend. 

Le roman est maîtrisé de bout en bout, l'écriture suit à un rythme très halletant sans être infernal et, surtout, la mécanique de précision que l'on comprend petit à petit est impressionnante. Henri Lœvenbruck, dont on connaissait l'univers et la fascination des loups, ne tombe dans aucun des clichés attendus dans cette littérature qui prend le IIIe Reich et ses épigones pour point de départ (2), il raconte une histoire qui nous demande l'effort de croire aux présupposés. Mais dès qu'on lui dit même un timide « oui », il ne nous lâche plus. Tout se termine sur un « à suivre » et on a envie de dire « vite vite ». Ce n'est rien de plus qu'un très bon roman noir qui mêle mystère et Histoire, Alchimie, occultisme et XXIe siècle, et c'est déjà beaucoup.


Loïc Di Stefano

(1) Pour votre tout premier voyage dans le mythe des terres creuses, et autres mystères mystérieux, lire Le Matin des magiciens de Louis Pawels et Pierre Bergier (Gallimard, « folio »)

(2) En cela il faut le rapprocher d'un maître du genre, Daniel Easterman. 

Henri Lœvenbruck, Le Rasoir d'Ockham, Flammarion, janvier 2008, 446 pages, 19,90 euros

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