La Dernière enquête du Chevalier Dupin, où il sera fait toute la lumière sur la mort de Gérard de Nerval...

NERVAL POLAR

Gérard de Nerval, retrouvé pendu aux grilles de la très lugubre Rue de la Vieille-Lanterne, dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, a-t-il été la pauvre victime de son esprit égaré, comme le pense le Préfet de Police de Paris, Alexandre Dumas et le Docteur Blanche, ou bien d’un crime crapuleux comme le croient la plupart des rares amis du poètes (Arsène Houssaye en tête), voire, comme va le défendre le Chevalier Dupin, dont le brave Carter Randolph, journaliste américain double et complice, nous narre cette histoire, la dernière qui met en scène cet ultime avatar d’Egard Allan Poe... 

Cousin de Sherlock Holmes et du Charles Dexter Ward de Lovecraft, le Chevalier Dupin noie son chagrin d’être en dehors de son temps par un abus d’opium qui, dit-il, participe également à la clairvoyance de son esprit avisé. Quand on vient l’interroger sur la suspension de Nerval, qu’il n'a jamais lu, l’étrangeté du cas et la proximité du vandalisme d’un antiquaire connu pour posséder, dans cette même rue, une momie égyptienne, vont exciter son esprit et le conduire à conclure à une hypothèse liant mysticisme et l’Histoire Littéraire. Mais pour faire à Randolf la preuve de son ingéniosité, il doit rien moins que de mettre en scène le même processus magique utilisé par Nerval et Poe, en se plaçant en son centre, et sous l'œil du même corbeau testimonial dont on trouve le plumage sur chaque scène : comment échapper aux torpeurs du temps et aux affres de sa conscience assaillie sinon en confiant à son double invoqué le soin de se délivrer de ces maux ? c’est mon fantôme qui prolongera ma vie, allégée des turpitudes d'exister...

Le double, présent comme signe d’altérité et de mystère chez Rimbaud aussi bien que Segalen, chez Poe, Nerval ou Mallarmé, est aussi dans la tradition antique l’annonce de la mort. Alors convoquer sa mort, c'est devancer la crainte et décider en poète. Vivre en poète et souffrir de l'incompréhension, voilà la motivation première, ce qui pour le commun est folie...

Au-delà de l’hypothèse magique du décès de Nerval, qui ajoute une belle idée accueillante aux XIXémistes qui aiment à croire que le siècle d’Eliphas Levi et d’Aurelia ne pouvait pas stagner dans l’infécond prosaïsme du scientisme et du matérialisme, ce court roman a un charme redoutable. L’esprit est maître du lieu, le verbe que manie Fabrice Bourland est un rien désuet, perdu lui-même dans les limbes supérieurs d'un temps fécond mais si rare de nos jours où le précieux veut prévaloir sans rien valoir...

Ultime clin d’œil au XIXe siècle si prompt à basculer du romantisme au mysticisme, ce récit est la traduction d’un carnet édité avec notes et commentaires, par un certain Charles Beau de l’Ers… 

Loïc Di Stefano 

Fabrice Bourland, La Dernière enquête du Chevalier Dupin, 10/18, "Grands détectives", février 2009, 116 pages, 6,50 euros

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