"Le Fils des brûlés", ou les fantômes et les corbeaux...

Oscar Bellem, flic par dépit, qui a vu sa carrière bloquée dès son départ par le meurtre de la petite Cécilia — sa hiérarchie s'est déchargée de sa responsabilité sur lui, bouc émissaire désigné de l'incompétence policière —, rejoint sa sœur à Sarole, petite ville où il ne se passe jamais rien. Il ne lui reste qu'un mois à faire avant sa démission, un mois avant de changer de vie, lui qui avant tout voulait être cinéaste... Mais les fantômes et les corbeaux vont l'assaillir, sans répit, et le forcer à mener, pour la première fois, une véritable enquête. Et à regarder ses démons en face.

Laurent Brad est un petit malin. Il ne sort pas l'artillerie moderne des polars, pas de sang, pas de grand rideau rouge qui se lève sur un monstre, pas de profiler... Et pas de super héros : aussi peu vivant que la ville où il échoue, Bellem n'est qu'un noeud de névroses mis à mal par la vie. Il n'a quasiment aucune expérience d'enquêteur, il n'a pas de réseau, pas de vraies motivations, sinon faire taire le fantôme de Cécilia qui hante sa vie. Son supérieur même passe son temps à se rire de lui... Mais ce n'est pas lui qui reprend l'affaire en main, il pense s'en éloigner pour une nouvelle vie, mais un corbeau lui adresse un premier mail, puis l'invite lors de conversations privées sur Internet à fouiller les secrets de la petite ville tranquille pour y trouver la réponse à ses propres angoisses. Pour oser les rapprochement inattendus, pour oser poser les vraies questions.

En poursuivant ses propres fantômes, Oscar Bellem rencontre ceux d'Antoine, le fils des brûlés, « héros » d'une légende locale : parce qu'il n'en pouvait plus de ne jamais pouvoir rien faire, l'adolescent tue son père et sa mère, quitte la ferme sur les hauteurs de Sarole à bord de la 405 que son père chérissait au point de ne jamais rouler avec et s'enfuit dans une course éperdue contre la hantise. Il est retrouvé, couvert de son propre sang, en plein Paris, au volant de la 405, après un vain combat contre les démons qui n'ont cessé de le harceler... ses scarifications n'y auront rien fait. Antoine finit ses jours en hôpital psychiatrique. Mais a-t-il eu le temps, dans sa fuite, de tuer Cécilia ? plusieurs incides le laissent croire, notamment la date : l'incendie et le meurtre ont eu lieu le même jour, et les 250 kilomètres qui séparent ces deux lieux ne sont peut-être pas une raison suffisante pour ne pas chercher dans cette direction, d'autant que tout le monde l'y invite, en guidant ses pas ou en tâchant de l'en dévier. Et brûlé, parce qu'il aura fallu la folie purificatrice de toute la ville qui voulut chasser le démon en purifiant par le feu, pour se taire ensuite, pour faire comme si on pouvait oublier, et que Sarole redevienne la ville où il ne se passe rien. Personnage central de cette procession purificatrice, le curé qui semble ourdir de bien sombres secrets : quel est son rôle exact dans cette histoire ? et qui sont vraiment les amis de Bellem ? quel est le secret que chacun semble connaître un peu mais ne jamais vouloir délivrer ?

La quête quasi initiatique de Bellem, la nécessité de découvrir ce qui se cache derrière le décor carte postale et de bousculer les « taiseux », des chapitres courts et une écriture bellement modeste et qui impose petit à petit son propre rythme, voici quelques-unes des qualités de ce Fils des Brûlés qui dénote un peu dans la production actuelle, mais le fait si bien ! Pas tout à fait du Simenon, mais on est dans cette lignée-là, la vie y est réelle et l'intrigue ne sert qu'à débusquer la vérité profondément enfouie dans la force d'inertie, cette humanité simple et confuse, qui est au coeur du roman de Laurent Brard et de son héros, fatigué, naufragé, mais magnifiquement humain. Pas de grands frissons, mais un très beau roman.
 
 
Loïc Di Stefano 

Laurent Brad, Le Fils des brûlés, Plon, "nuit blanche", mai 2010, 256 pages, 17,90 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.