Les nuits parnassiennes du fameux marlou Bubu de Charles-Louis Philippe

Avant Francis Carco et Pierre MacOrlan, dont il fut une source d'inspiration, Charles-Louis Philippe, amis de Francis Jammes et d'André Gide, membre fondateur de la NRF, a donné son récit des marlous, des nuits sur les boulevards, des filles publiques et des mœurs nocturnes.


« Ce n'est rien, Seigneur. C'est une femme, sur un trottoir, qui passe et qui gagne sa vie parce qu'il est bien difficile de faire autrement. »


La petite Berthe est bien mignonne, apprentie fleuriste qui sort avec ses sœurs à un bal. Elle y rencontre Maurice, ébéniste, qui se montre le plus galant des cavaliers, l'invite à boire une grenadine et, de rendez-vous en rendez-vous, devient son amant, puis son homme, car Maurice, dit « Bubu de Montparnasse » est un malin des rues qui comprend vite que sa petite femme va pouvoir travailler pour lui. Bubu a ses amis, Jules notamment, et les soirées et les filles publiques, un univers nouveau et  festif que Berthe fait sien et pour lequel elle accepte son rôle : la voilà fille publique. Elle est résignée, presque indifférente (« Les hommes abusent de notre corps et le crèvent pour nous donner du pain. »), c'est une élégante parmi les filles dont la topographie en fait un monde bien défini, avec ses étapes, ses règles (établies par les souteneurs), ses déchéances (les maladies, l'alcool, le racolage de n'importe qui pour manger, etc.).


Le boulevard Sébastopol est son territoire, elle l'arpente jusqu'à 22 heures et gagne l'argent du ménage, payer la chambre d'hôtel, les souliers — outil de travail —, les loisirs de Bubu. Elle rentre rapporter ses sous, se coucher près e son homme, et, comme celui-ci sait qu'il faut tenir sa femme, qu'il faut l'éduquer par l'autorité et la force, il la corrige pour son bien.


Un soir, elle rencontre pour client le jeune Pierre, employé de quelque ambition qui bûche encore ses diplômes et qui, trop timide et provincial, erre sur les boulevard à regarder les autres. Il n'a pas de femme, il aura Berthe. Et comme il est un faible, il l'aime, devient un régulier, un ami, presque un amant quand elle tente un moment de sortir de la rue — quand Bubu est en prison — mais qu'on l'y remet de force et qu'il ne s'interpose pas, craintif qu'il est du Milieu qu'il a presque fréquenté par procuration mais dont il ne sait rien. 


« Elle partait dans un monde où la bienfaisance individuelle est sans force parce qu'il y a l'amour et l'argent, parce que ceux qui font le mal sont implacables et parce que les filles publiques en sont marquées dès l'origine comme des bêtes passives que l'on mène au pré communal. »


C'est par les yeux de Pierre que la vie du Boulevard s'anime, son regard naïf en fait un monde d'aventures quand ce n'est qu'un monde de misère. Les souteneurs y vivent mieux que leurs filles, mais ce n'est pas brillant quand même, une manière d'association de misérables.


Quand Berthe est déclarée syphilitique, tout bascule : elle se retire à l'hôpital, Maurice n'a plus le sous et est contraint au vrai crime (cambriolage) pour survivre, ce qui le conduit en prison, et Pierre est mis clairement devant une réalité à laquelle il n'était pas préparé. La vérole réorganise la vie du boulevard, fait que les uns et les autres réfléchissent et prennent leurs distances. Maurice s'en sortira parce qu'il a l'habitude de la rue et la science du mal (« La science du mal est bonne comme un bon fruit sur la route sèche et nous aide à marcher, entre la vérole et la prison, comme de grands voyageurs sans hypocrisie et sans peur. »), il viendra reprendre Berthe. Berthe se laissera berner un moment par ses propres illusions de vie laborieuse et honnête, se rapprochera de Pierre mais se laissera reprendre par son homme comme par une force à laquelle elle ne veut pas se soustraire (« […] — jamais — elle n'eût pu oublier celui qui fut le sien et qui fut plus qu'un dieu parce qu'il était l'Homme quand elle était vierge. Sa chair était gravée dans la sienne bien plus profondément que tous les sentiments et que tous les désirs. »). Quant à Pierre, il prendra conscience que ce monde n'est pas le sien, qu'il est sans doute un peu lâche et qu'il regrettera, toute sa vie, cette petite Berthe à qui il a osé dire « je t'aime ».


Si Bubu de Montparnasse n'est pas le meilleur roman de Charles-Louis Philippe, pour la qualité de la langue aussi bien que la construction (regrettera dans le détail un certain nombre de répétitions qui alourdissent le texte), il est sans doute la meilleure introduction à son œuvre, dont une grand partie (les quatre premiers romans) a été publiée à compte d'auteur. Ne boudons pas Bubu, son grand succès, et incontestablement une vue en coupe des plus réussies des nuits parisiennes de son temps.


Loïc Di Stefano

Charles-Louis Philippe, Bubu de Montparnasse, Grasset, « Les Cahiers Rouges », mai 2005, 126 pages, 7,10 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.