"Chien des os", critique acerbe de la cruauté intrinsèque à l'homme, par Bernard du Boucheron

Hiératique et cruelle, la littérature de Bernard du Boucheron, depuis Court Serpent qui l'intronisa dans la petite patrie des gens de Lettres qui ne s'évertuent pas à plagier leur époque, est un délice pour l'intelligence. Si les ressorts — les mythes personnels et obsédants, dirait Charles Mauron — sont souvent les mêmes (une lutte de personnes et de classes, l'honneur, la patrie, la foi), rien de surfait ou d'imposé, sinon une écriture qui se déploie avec l'amour du mot juste comme une leçon de littérature. Coup-de-Fouet, son second roman, ne fut pas une surprise, mais une consécration, un auteur est né, à 76 ans, après en avoir terminé avec la carrière diplomatique.  Avec Chien des os, aucune déception, tout le talent est là, l'exotisme est porté ailleurs mais la critique acerbe de la cruauté intrinsèque à l'homme est vigoureuse et portée par une narration magistralement conduite.

Nous sommes sur une île en plein milieu de l'Atlantique, au XVIe siècle, quand l'Eglise catholique est toute puissante — les Espagnols et les Portugais qui s'opposent ne portent qu'une seule et même foi — et que l'homme n'est toujours pas civilisé... L'île est coupée en deux, dans le sens de la hauteur : en haut, les pauvres, mais qui ont la richesse naturelle, l'eau ; en bas, les nantis, qui vivent du labeur des autres et qui sont stigmatisés comme « chiens des os ». Le mépris le plus grand règne entre ces populations. Car les oppositions sont aussi bien fondamentales que géographique : en haut, le contact de la nature et le labeur, les valeurs « humaines » ; en bas, le lucre, le commerce, la force qui impose le dogme. Car l'Eglise n'est pas épargnée par le verbe de Bernard du Boucheron, qui en fait ici le principal obstacle à la réalisation de la plénitude humaine.

Figure centrale de cette critique de la violence-faite-homme, le Corregidor, inquisiteur super intendant de l'île qui s'en prend aussi bien aux Juifs qu'aux Mores, qui fait règner la terreur en brandissant le bâton et la croix. C'est lui qui va pousser dans ses derniers retranchements les gens du haut et les contraindre, pour survivre même — car ils ne sont là que pour servir le fleuve qui donne l'eau à ceux d'en bas ! —, à se révolter. Sursaut d'orgueil et libération d'une saine colère. Le Corregidor sera chassé, un autre prendra sa place, qui ne pourra que justifier de la nullité de son prédécesseur qu'en imposant la sienne propre... Et c'est une femme — comme dans les précédents romans — qui va sauver l'humanité. Car ce n'est jamais de rien d'autre qu'il s'agit avec Bernard du Boucheron, et que la lutte soit celle d'un peuple (Court Serpent) ou d'un homme (Coup-de-Fouet), c'est toujours, en quelque sorte la lutte de l'humanité au sens noble contre la barbarie.

Si le style hiératique, rafiné et élégant impose une voix, les rebuffades nombreuses contre une société peinte toute en noirceur (façon Hogarth, peintre de la raison morale dont il apprécie sans doute la cruauté même...), où rien ne se fait sans tromperie ni violence, font de Chien des os un roman d'une grande maîtrise dont la profonde emprise sur le lecteur n'est que bonheur.

Loïc Di Stefano

Bernard du Boucheron, Chien des os, Gallimard, (1re éd janvier 2007), « folio », 193 pages, 5,80 euros

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