"Le Jour où les chiffres ont disparu", le roman d'Olivier Dutaillis qui libère de l'obsession des chiffres !

Il rencontre Anna lors d'une soirée chez Delphine, son ex. Elle l'émeut, ils discutent un peu et se laissent porter par la nuit. Elle est flûtiste, il est psychiatre. Elle lui explique son étrange manie de tout compter, tout le temps, et sa peur de la musique car il faut compter, le plaisir de jouer s'est effacé derrière les temps qu'il faut compter avant que ce ne soit à elle de jouer, flûtiste dans un orchestre ce ne sont que quelques notes ici ou là, alors il faut compter et compter, avec l'angoisse d'oublier un temps et de rater son entrer, de tout faire rater. De rater sa vie aussi bien que sa partition. A force, malgré sa virtuosité, plus de concert, et plus de cours non plus. Plus rien. A cause des mathématiques ! Il lui apprend, moitié en riant, qu'elle est mathématopathe., Que ce n'est pas si grave, qu'on peut bien vivre sans les chiffres...


Quelques jours plus tard, Delphine l'appelle en urgence : il faut qu'il intervienne pour sortir Anna du centre d'internement d'office où elle vient d'être placée à la suite de la séquestration pendant une semaine de son ancienne prof de math. Pour quelle raison ? Elle lui a mis sur son bulletin, il y a très longtemps : « Justifie à elle seule l'existence du zéro », commentaire qui l'avait laminé et pour ainsi dire détruite, inconsciemment, et c'est d'en parler à cœur ouvert avec lui qui lui a révélé la vérité sur son mal : il fallait s'en prendre à la source, la prof de math !


« Mais nous avons du mal à nous retenir d’interpréter, je sais bien. Cela nous rassure de plaquer du sens. Sinon, on est un peu perdus, nous les soignants. A quoi servons-nous si tout cela n'a pas de sens ? »


Il pourra alors batailler avec le confrère vieille façon qui tient sa patiente et entend en faire son jouet quitte à la pourrir de tranquillisants tant qu'elle reste sous sa garde, obtenir qu'elle soit internée aux Cyprès, clinique dont il a la charge, et lui offrir plus de liberté. Mais à quoi cela sert-il de se battre contre une idée fixe ? Mieux vaut, pense-t-il, la laisser s'épanouir et voir le patient aller au terme de son délire, quitte à en guérir.


« On se met à tout compter. À tout calculer ! C'est sournois, visqueux, ça se glisse même pendant le sommeil... Et crac ! Ca y est ! On est atteint ! C'est grave ! Très grave ! C'est ça la dictature des chiffres ! Eh bien, ça a assez duré ! »


Réflexion sur l'internement et la folie, sur le passage à l'acte et le pouvoir des encadrants,  Le Jour où les chiffres ont disparu  est un roman tendre et drôle qui se lit aussi bien comme une enquête (pourquoi a-t-elle séquestré sa prof de math ? comment en est-elle arrivée là ?) que comme une introspection (que puis-je faire comme thérapeute ? a-t-elle vraiment eu tort ?). Et s'il se termine en apothéose délirante où la folie contagieuse porte de nouvelles valeurs et fait exploser les cadres de la société, ce n'est qu'une qualité de plus à ajouter à toutes celles de ce roman d'une grande richesse et d'une qualité d'écriture simple et juste. 



Loïc Di Stefano


Olivier Dutaillis, Le Jour où les chiffres ont disparu, Albin Michel, août 2012, 230 pages, 18 €


Lire en complément

  • L'entretien accordé par Olivier Dutaillis à Loïc Di Stefano 
  • Les dix bonnes raisons données par Olivier Dutaillis de ne pas lire son roman 

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