Flic dans le 9.3, le nouveau western

La Seine-Saint-Denis (le « 9.3 ») est pour tous l'archétype du département perdu, poubelle, comme le foyer de l'insurection permanente d'une jeunesse non plus revendicatrice mais simplement violente et associale, qui veut imposer son propre chaos. Qui n'a rien a perdre ose tout, et se construit dans l'affrontement. Déjà stigmatisé comme le département le plus violent, le plus concentrationnaire en matière de délinquance, d'immigration, de chomage, et d'abandon par les différentes politiques de la ville, le 9.3 est une zone de non droit où ne règnent plus que les caïds de la drogue qui règlent leurs conflits l'arme au poing. Notre no man's land à nous... dans la caricature, car la réalité n'est pas encore au niveau du film Banlieue 13, par exemple.

C'est ce département, tel quel, mais aussi tel qu'il fut, que Patrick Trotignon nous présente, dans ses évolutions et dans la richesse d'une expérience d'homme, commencée en 1976, c'est-à-dire dans un autre monde.

Le nouveau western...

Le témoignage de Patrick Trotignon est intéressant en ce sens qu'il traverse une zone géographique et subis dans son activité professionnelle de policier les détériorations quotidiennes. Il nous décrit d'abord un département ouvrier, agréable, jardinnier et quasi provincial même au temps de la présence des premiers gangs comme ceux de Montreuil. Puis, au fil de ses affectations, les métamorphoses qui allient le plus souvent mauvaise gestion de l'urbanisme, concentration des problèmes et des cas sociaux jusqu'à créer des zones hors du droit. On a aujourd'hui du mal a visualiser Aulnay-sous-Bois comme dernier point urbain — et paisible, presque la bourgade provinciale — entre l'immensité des champs de la Brie et l'aéroport Charles de Gaule... et pourtant, l'éclosion des immeubles et l'urbanisation sont aussi violents que soudains, et on y affecte en priorité les populations qui ne trouvent pas place ailleurs : ainsi se forment les îlots de réclusion sociale, les ghettos qui ne peuvent engendrer que la triste réalité que nous connaissons aujourd'hui…

Le parcours professionnel de Patrick Trotignon est assez agréable à lire mais déroutant quand on comprend combien de fois il a dû se battre contre son administration pour avoir simplement les moyens de faire le travail qu'on lui demandait. Que ce soit dans une brigade ou au TGI de Bobigny (dont les sous-sols sont décrits comme un bauge nauséabond, et dont sa remise en état lui vaudra une affectation-blame…), dans un commissariat de proximité (bien qu'il refuse ce terme, parce que la police est proche par essence) ou dans une zone administrative plus large, c'est toujours avec la volonté de servir et l'envie d'apprendre que Patrick Trotignon s'est battu. Même en Corse, où il fait un court séjour, et découvre les joies de l'omerta et de l'hospitalité Maure.

Bien sûr, l'écriture est orale et maladroite, les redites sont nombreuses et le coq à l'âne fréquent, mais tout est sous le signe d'une belle sincérité, comme un vieux flic qui explique à ses jeunes recrues le métier d'avant, comme il a lui-même eu la chance qu'on le lui  explique. Un passage de témoin, en quelque sorte, et un état des lieu d'un département en désagrégation rapide. Un point de vue, qui ne mâche pas ses mots quand il faut stigmatiser, et qui s'attendrit à son tour, sur l'évolution de la police nationale : de la police à Papa à celle de Nicolas Sarkozy, une révolution en une trentaine d'année de bons et loyaux services. 


Loïc Di Stefano 

Patrick Trotignon, Flic dans le 9.3, Le Rocher, mars 2008, 144 pages, 17 euros

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