"Bonnot et la fin d'une époque", le criminel et la presse

Bonno, dit "Comtesse", chef de la fameuse bande à Bonnot, un nom qui claque dans l'histoire du banditisme français. Mais comment le petit Jules a pu devenir l'ennemi public numéro un ?

"Il me faut vivre ma vie. J'ai le droit de vivre. Tout homme a le droit de vivre, et puisque notre société imbécile et criminelle prétend me l'interdire, et bien ! tant pis pour elle, tant pis pour vous tous !"

Relisant l'ensemble de la presse, de l'Humanité à L'Action française, en passant par l'Excelsior, Le Petit parisien, ou la Libre parole, Pierre-Robert Leclercq retrace dans cet essai déroutant par le style — un composé de citations derrière lesquelles il se cache — mais riche par la capacité à re-situer le personnage dans sa propre histoire et dans la "réception" de ses actes par l'opinion publique, représentée par l'ensemble de la presse.

Il faut reconnaître en Jules Bonnot un précurseur sinon un génie. Il s'oppose frontalement à la société et utilise contre elle les moyens les plus modernes. Les convictions politiques, l'anarchisme, sont ancrées dans son mode de fonctionnement, mais comme un complément à la vie de bandit plutôt que d'être un bandit façon bande à Baader qui se sert de ses coups pour nourrir la cause. Très bon chauffeur, il comprend vite quel intérêt peut ajouter la vitesse dans l'accomplissement de ses forfaits. Et voilà qu'en quelques braquages, et quelques coups de feu tirés sur la foule, la presse suit les coups de la "bande en automobiles".

"je sais que je serai vaincu que je serai le plus faible, écrit-il, mais je compte bien faire payé cher votre victoire"

Dans ce magnifique pied-de-nez qui en fera l'homme à abattre, Bonnot écris au Matin, et annonce sa propre fin, encerclé par la police dans sa planque de Choisy-le-Roi en avril 1912, alors que Bonnot a affronté la garde républicaine et un régiment de Zouaves. Il mourra les armes à la main, comme il a vécu, sans concessions...

Cet essai n'entend pas refaire le portrait de Jules Bonnot, une littérature nombreuse y est déjà consacrée. Mais il cherche à mettre l'époque face à son plus grand criminel, celui qui a tout compris à la modernité et sans s'émouvoir voulut seul s'y opposer. Ce n'est pas une défense du bandit, ni même une critique de ses actes, c'est un face à face entre un criminel qui s'enfonce dans son anarchie et une société qui cherche à le définir, qui s'émeut, s'émerveille et se dégoûte. C'est surtout une très belle plongée dans l'effervescence d'une presse qui saisit l'Histoire sur le moment.


Loïc Di Stefano

Pierre-Robert Leclercq, Bonnot et la fin d'une époque, Les Belles Lettres, avril 2012, 258 pages, index des noms propres, bibliographie, 21 euros

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