Marc & Macke : les duettistes de l’avant-garde allemande

Il faut faire un détour par le Musée de l’Orangerie où des œuvres rarissimes sont exposées jusqu’au 17 juin 2019… en provenance de la Neue Galerie, à New York, où elles furent présentées du 4 octobre 2018 au 21 Janvier 2019. Dans la continuité de la présentation d’Apollinaire, le regard du poète (2016) et qui s’achèvera par De Chirico et la peinture métaphysique en 2020, l’Orangerie s’est attelée à parcourir les avant-gardes européennes dans un cycle thématique sur quatre ans. Beau défi relevé avec panache ! Car ce n’est jamais aisé de parvenir à regrouper pareils chefs-d’œuvre ; on se souvient de la très belle exposition Der Sturm au Minotaure (avril 2018) ou encore Le Cavalier bleu à la fondation Beyeler, à Bâle (septembre 2016), chaque fois les commissaires durent réaliser des prouesses pour faire sortir les tableaux… Ici se sont pas moins de 90 œuvres réunies rien que pour nos yeux…

D’emblée nos iris tombent sous le charme de Franz Marc, l’homme aux chevaux bleus, mais aussi au renard parme ou la vache jaune, notamment, qui le feront entrer dans l’histoire de la peinture par la grande porte… qu’une mort soudaine (mars 1916) figera dans la légende : son œuvre, relativement mince, est extraordinairement populaire, notamment en Allemagne, lui l’artiste dégénéré que le national-socialisme avait banni.

Son amitié avec August Macke et Kandinsky ouvrira l’une des plus belles pages de l’histoire de l’art : Der Blaue Reiter/Le Cavalier bleu, un drôle d’almanach, sorte d’annuaire protéiforme qui s’articulera selon les humeurs et les artistes invités (poètes, compositeurs, historiens de l’art) ; un projet fou dont l’idée germe dans les esprits en novembre 1911 et qui voit le jour en mai 1912.

La volonté de mixité du Cavalier bleu portera ses concepteurs à défendre l’idée que l’art est synesthésique, qu’il franchit allègrement frontières et cultures, formes et concepts, car il est avant tout un langage. Ce que les Composition de Kandinsky, titrées par un numéro, construites comme l’est une œuvre musicale,  retourne les idées reçues et démontre que la structure d’une œuvre d’art est, elle aussi, composée. Perspective que vous devrez garder en mémoire quand vous serez face à Dans le cercle dont les circonvolutions vous hypnotiseront littéralement.

Franz Marc, "La Cascade" (Femmes sous une cascade), 1912


Quand Macke s’engage dans une voie imperméable au chromatisme vibrant, Marc maintient son cap vers la simplification qui va le conduire vers une plus grande géométrisation formelle et un usage symbolique de la couleur. Ainsi pourra-t-il exprimer son malgré lui sauvage et laisser libre vagabondage à son désir d’ensauvagement, d’aller chercher ses limites pour mieux les dépasser… La rencontre avec Robert Delaunay – qui n’osait présenter ses œuvres cubistes qu’au Sturm car la France était encore sclérosée dans son approche de l’avant-garde – va exercer une profonde influence sur Marc et Macke. L’orphisme cher à Apollinaire, basé sur le principe du contraste simultané des couleurs, sera le prélude à l’art cinétique (que Le Minotaure va d’ailleurs présenter dès avril de cette année).
 

August Macke "Trois jeunes filles avec des chapeaux de paille jaunes", 1913

Ainsi la couleur se voit-elle jouer un rôle dynamisant chez les deux compères qui vont structurer leurs œuvres de manière spatiale, trouvant ici la technique pour donner une résonance à l’idéalisme qui les habite. Vont émerger des tableaux, après les formes souples, sphériques et harmonieuses, quelques figures plus angulaires faisant penser à un kaléidoscope. L’espace de la toile se diffracte, les plans se juxtaposent : on flirte avec le cubisme

Témoins d’une époque d’avant les deux apocalypses qui vont ravager l’Europe, ces deux artistes inscriront dans le marbre de la mémoire universelle l’idée d’une communion entre les Hommes par la magie de la beauté célébrée sous toutes ses formes. En ces temps d’insurrection ce voyage utopique est une nécessité vitale, ne serait-ce que pour recharger les batteries avant de retourner au charbon.



François Xavier

Cécile Debray & Sarah Imatte, Franz Marc / August Macke – L’aventure du Cavalier bleu, 120 reproductions couleur, 216 x 285, Hazan/ Musée de l’Orangerie, mars 2019, 192 p. – 39,95 €

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