Giono : Un de Vallorbe !

Sobrement intitulé Vallorbe, cette apparente modeste page, volante, mais détachée d'un carnet, est pourtant, jusqu’à nouvel ordre, le premier manuscrit littéraire connu de Giono.
D’où sort-elle ? Certainement pas d'un chapeau ou d'un foulard noué puis dénoué, mais bien du fond des précieuses archives du peintre Serge Fiorio qui assurait avec une admiration non dissimulée que l’écrivain ici débutant n’avait alors pas plus de seize ans !
Pas du tout né, donc, dans les boyaux des tranchées de 14 comme le soutint avec aplomb Emmanuelle Lambert en faisant sans façon de cette pure et simple élucubration personnelle l’idée directrice officielle (sans que jamais personne, n'empêche, ne bronche dans les rangs !) de la commémorative exposition Giono du Mucem en 2020 où, alliée substantielle "imparable" de cette fabulation, l'on était reçu à bras ouvert par une affreuse mitrailleuse du plus bel effet ainsi érigée d'autorité en sésame de l’œuvre – frissons garantis ou presque ! – sur quelques sacs de sable rebondis...
Mais Giono étant né en 1895, sa placide et sereine évocation de Vallorbe éclose d’une exquise sensibilité très évidente puis coulée dans une forme d'écriture déjà fort accomplie pourrait bien dater de 1911 et ainsi, rien qu'à elle seule en à peine quelques lignes, prouver da sind qu'il en est en vérité tout autre chose quant à la date de naissance et au lieu d'apparition du Giono écrivain !
Page prometteuse en son temps, certes, mais aujourd'hui reconnaissons-la plutôt séminale, bien que l'encore tout jeune auteur n'en était probablement pas là à son tout premier coup d'essai remarquable puisque pratiquant visiblement très tôt le carnet.

Et Vallorbe, pourquoi Vallorbe, si éloigné de son si cher et familier Manosque ? Parce que le jeune Giono y séjournait tout naturellement en vacances chez sa tante Marguerite, sœur de son père, qui, en maîtresse femme à poigne qu'elle était – mariée à Joseph Fiorio, autrefois brigadier et redoutable pourchasseur de brigands en Calabre ainsi que grand-père du peintre cité – y tenait un établissement fort animé : l’Auberge des chemins de fer Fiorio dont la salle comportait une scène où, le plus souvent, se jouait du théâtre. Mussolini vint y faire une harangue mémorable du temps où il était encore anar. 

Auberge implantée à proximité de l’énorme chantier qu’était celui du percement, sur six kilomètres, du tunnel transfrontalier dit du Mont-d’Or. Ouvrage qui, depuis, relie toujours Vallorbe à Dijon.
Ce percement ayant bénéficié, tout du long, notons-le au passage, de la participation de la rude équipe de mineurs, de maçons et de carriers de l'entreprise Émile Fiorio, fils du couple Joseph-Marguerite et père du futur peintre qui naquit là en 1911, au village tout proche et donc sans aucun doute en fanfare : au son, entre autres, des sirènes de l'époque et du fracas des premiers coups de mine directement associés !

André Lombard

                                                                 Vallorbe

Quand on arrive au pied du Mont-d’Or par la route de Lausanne, on croit voir sur les bords de la charmante petite riviérette de l’Orbe une volée d’oiseaux. En s’approchant on reconnaît un village.
Vallorbe, en effet, n’est pas bâti au bord de l’eau, elle s’y est posée en un éparpillement de maisons coquettes qui passent toute leur journée à regarder dans leur miroir de rivière la silhouette de leur clocheton, de leurs toits et de leurs chalets.
Petites maisons basses et blanches aux volets verts, séparées par des enclos de pommiers, des rues longues et larges où le soleil entre librement, et c’est tout.
Mais quand on longe ces rues en promeneur, on devine qu’une petite main entrouvrira les persiennes sur votre passage tandis que la tête curieuse d’une jeune fille passera dans l’entrebâillement pour voir s’éloigner l’étranger.
C’est cette curiosité naïve jointe au calme plat des rues désertes qui fait le charme de cette petite ville pittoresque.
J’allais oublier les rencontres aimables que l’on y fait de filles aux longues tresses de cheveux plaquées sur les oreilles à la façon de la Marguerite de Goethe, des paysans en courtes blouses bleues empesées, et parfois d’une ou deux grosses vaches paisibles aux taches rousses longuement encornées qui vous regardent passer en bavant bêtement.
Et tout au fond de la rue, ce n’est pas l’horizon borné de la ville, c’est la svelte silhouette d’un clocher roman ou la perspective moutonnante des pâturages bosselés s’étendant à l’infini et d’où nous arrive une fauve odeur d’herbe fraîche et d’ivresse libre.

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