Fiorio-Giono : sous l'étoile à cinq branches...

Quand, au cours des premières années trente, je descendais chaque hiver de mes sombres montagnes hautes savoyardes pour passer quelques jours de vacances à Manosque chez Giono, nous avions coutume, pour bien commencer la journée et ainsi rituellement la placer sous une bonne étoile comme on dit, d’en dessiner justement chacun une de la main qui nous était la moins familière, c’est-à-dire de la gauche pour tous les deux.
C’était toujours des étoiles à cinq branches ; pentacles que sa jeune fille Aline avait collectionnés un temps en les punaisant sur les murs de sa chambre d’enfant.
Évidemment, celui qui réussissait le mieux avait gagné et s’en réjouissait, mais cette étoile la plus belle, la mieux réalisée, la plus parfaite des deux, était aussi sensée, et cela quel que fut le vainqueur, porter également bonheur tout autour de nous, à la maisonnée toute entière, attirant sur toutes et tous le regard bienveillant et protecteur des Dieux.
Aussi, dans mon Portrait de Jean Giono peint en 1934, en trois semaines, dans son bureau du rez-de-chaussée, il se trouve que j’en ai placé deux : l’une matinale, comme celle que nous dessinions chacun​ chaque matin​ à main levée​ : toute blanche dans un ciel vraiment bleu peint en tout premier lieu et contenu dans ce qui peut ​figurer tout aussi bien ​​une fenêtre de la pièce qu’un tableau à part entière, un paysage ; l’autre, noire d’encre, puisque accompagnant, celle-là, comme une signature, ou plutôt un sceau, la phrase que venait alors fraîchement d’écrire Giono : c’est lui qui, lors de la mise en place de la composition faite à la mine de plomb, m’avait demandé de laisser devant lui cette page vierge afin que je puisse finalement y inscrire la phrase qu’il serait alors justement en train d’écrire quand je lui annoncerai que le tableau, à part ça, était terminé.
​Et​ ce fut : Oui, dit Bobi, le difficile c’est de trouver une bête qui accepte. Phrase qui, isolée comme ça, reste évidemment très énigmatique quand on n’a pas lu Que ma joie demeure, le roman que Jean était en train d’écrire tandis que, dans le même temps, je le portraiturait​ alors​ en plein travail à sa table d'écriture.
La bête, c’est le fameux cerf que le héros, Bobi, parvient à apprivoiser. Je crois me souvenir que n’ayant plus peur, le bel animal finit par venir un beau matin, de lui-même, spontanément, vers la communauté humaine du plateau Grémone – chez laquelle le motif de l’étoile est très présent, du reste.
Et d’une certaine façon, sous un certain angle, m'invitant à faire son portrait, par cet exercice de commande en quelque sorte – mais pour moi​ plutôt ​pure épreuve de force, en réalité –, Giono lui aussi, à sa façon, m’avait apprivoisé ; car ce​ portrait​, réussi, me donna du culot, m’insuffla de la confiance en moi-même, me fournissant une énergie nouvelle où puiser pour affronter la réalité et réussir, autant que possible, à me l’approprier, la faire mienne.
Ainsi, complètement libéré de certaines de mes appréhensions – non devant l’acte de peindre​ lui-même​ mais​ devant​ celles, nombreuses, qui me travaillaient sans cesse en profondeur face au grand mystère engageant de la peinture –, à vingt-trois ans,​ très tôt donc,​ je pouvais déjà renaître une première fois avec force grâce à ce portrait : à vrai dire, sur le coup, sans vraiment m’en rendre compte ; et puis encore à d'autres occasions par la suite, toujours tout naturellement, par paliers​ successifs, nécessaires,​ sans jamais, non plus, y avoir réfléchi, simplement dans le feu de l’action de peindre, à mesure, et cela tout au long de ma vie.

André Lombard

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Portrait de Jean Giono par Serge Fiorio, huile sur toile, 82x73 cm, 1934. Visible au musée Henri Rousseau Place de la Trémoille à Laval.

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