Instinct nomade n°10 : spécial Giono

Lorsqu’on change une lampe de place, chaque objet dans la maison se trouve éclairé différemment. Lorsqu’on change soi-même de place, on voit chaque chose dans une nouvelle perspective. Pour ceux qui, eux, n’auraient pas bougé, il est bon de dire pourquoi on ne voit plus les choses comme ils les voient encore, écrivait pour ses amis et son proche entourage le cher Pierre Martel.

Voilà, en ce même sens, un Spécial Giono qui cette fois, il faut le dire, nous change justement quelque peu de l’habituel entre-soi gionesque.
Je veux dire du genre, classique, ainsi qu’en produit forcément post-mortem autour de lui et surtout autour de son œuvre chaque artiste ès-qualités digne de cette appellation en son domaine ; comme il va sans dire c’est à jamais indiscutablement le cas de Giono en ses créations romanesques et autres nombreuses magistrales vertus d’écriture, notamment bien entendu les variations et les adaptations du style lui-même en faveur de ses divers sujets et sources d’inspiration chronologiques ou intemporelles tout au long d’une œuvre munificente constamment visitée du génie de la langue et de la littérature.

Coordonné par le chanteur-poète (et tout récemment fabuleux éditeur !) Jacques Ibanès qui, il y a quelques années, a d’ailleurs déjà  "sévi" fort à propos ( À chacun son Giono ! ), ce foisonnant dossier d’Instinct nomade à l’éclectique riche sommaire a donc, entre autres, le mérite d’aller cueillir et recueillir certaines paroles au-delà – c’est là sa principale et louable démarque – du "cercle" officiellement dédié ; y comprise celle, on va le voir, en totale dissidence avec ce dernier comme, tout autant, avec les métronomiques coups d’encensoir et commentaires professoraux venant sans cesse, intarissables, des quatre coins du monde universitaire.
Je veux parler ici, frappante, de la solide déposition, peut-on dire, d’un proche, autodidacte notoire, comme – excepté l’humble Lucien Jacques ou encore le poète-maçon Alfred Campozet – Giono n’en eut jamais, il me semble, point d’autre autour de lui d’aussi lucide et de tout autant fidèle que franc de collier : certains le devinent sans peine, s’agissant de feu le romancier haut-provençal Pierre Magnan qui – de surcroît pur manosquin de souche, ce qui ne gâte rien, n’est-ce pas, en rien négligeable ! – commence, dépité en plein, par écrire à Jacques lui réclamant son opinion en plus de son témoignage : Hélas, que te répondre, ils en savent tous tellement plus que moi sur Giono que j’ai pris le parti de me taire.
Mais qui cependant, contre toute attente donc, une fois ce tremplin franchi, nous gratifie ensuite généreusement sur sa lancée, tout du long de deux pages pleines à ras bord – en même temps qu’admirables comme, par bonheur, il en va ainsi de soi à son habitude –, d’un apport qui, venant directement de celui-là même qui – aussi bien dans Manosque, au Paraïs, comme qu’aux Rencontres du Contadour avant-guerre – ayant connu et fréquenté l’homme et l’écrivain au plus près sur une dizaine d’années à la file, se trouve être, à tous points de vue, de tout premier ordre. Sans fard ni filtre, ni air de flûte, se concluant d’ailleurs carrément comme suit, lucidement constaté : Tu vois bien qu’il ne faut pas me demander quoi que ce soit sur Giono. Je suis trop passionné !

Un bémol toutefois côté peinture où, en dehors du trio Fiorio, Buffet, Breughel, deux artistes parmi les plus attendus ici n’ont pourtant pas voix au chapitre : Eugène Martel et Lucien Jacques.
Ce dernier n’étant évoqué que furtivement, par-ci par-là, comme en passant, à la va-vite ; quant à ce tout aussi cher Eugène Martel, même pas.

Mais quoi qu’il en soit, et bien entendu par-delà mes propres enthousiasmes et partiales remarques – le tout, forcément, assez subjectif –, ne me reste vraiment pas le moindre doute que, par l’opportune entremise d’une telle généreuse livraison via cette revue qui se revendique heureusement, en sous-titre, du métissage culturel, de nouveaux lecteurs de tout poil, frais et dispos, auront à cœur de se mettre à lire Giono directement dans le texte, peut-être tout d’abord simplement à la régalade ; puis, comme d’autres, à l’y redécouvrir encore, et encore de nouveau, jusqu’au plus secret – pourquoi pas ! – niveau de lecture possible ; cependant que l’aventure de lire et de s’attacher un tel phénoménal auteur est, bel et bien entendu, un rien éprouvante : Bienheureux ceux qui marchent dans le fouettement furieux des ailes de l’ange et Bienheureux quand l’ange vous soulève et qu’on ne sait plus bien si les ailes sont à lui ou à vous-même.
Ainsi me semble-t-il, par analogie et/ou en filigrane, fort justement de Giono par lui-même et de son lecteur qu’il ne tient donc pas, jamais, à l’abri sous son aile, mais – plus fort que lui et que tout – le plus souvent lui en donne ; tandis que… le vent se lève, bientôt, constate et rapporte de son côté Claude-Henri Rocquet, à la fois subtil et très profond lecteur de Giono, un vent qui ne fait bouger ni les enseignes de zinc ni les volets, ni les arbres, leur feuillage, ni voler la paille sur les pavés, les quais, un vent intérieur.
Il me plaît grandement de conclure là-dessus.

NB : cette citation de C-H Rocquet n’est pas extraite de l’un ou l’autre article de ce numéro spécial, mais issue de pages encore inédites.
 

André Lombard

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Instinct nomade n°10, collectif, spécial Giono, printemps 2022, 400 p.-

La revue est commercialisée en 2 versions :
– couverture souple, papier ivoire 90g, format 17 x 24 cm,. 22 € + 4 € de port.
– couverture rigide, reliure, papier ivoire 100g, format 18,3 x 26,2 cm, 26 € + 5 € de port.

D'autre part, Jacques Ibanès et José Correa ont écrit et dessiné un livre intitulé Jean Giono à ciel ouvert, 92 pages de promenades sur les chemins de Giono, certains fantasmés ou imaginaires. Ce livre est un supplément à la revue mais peut être acquis seul. Il existe aussi en 2 versions :
– couverture souple, 92 pages papier ivoire 90g, format 17 x 24 cm : 10,90 € + 3 € de port.
– couverture rigide, reliure, papier ivoire 100g, format 18,3 x 26,2 cm : 14,90 € + 4 € de port.
Pour une commande groupée : revue + supplément, le port sera offert, chèque à l’ordre de Bernard Deson.

Instinct nomade, éditions Germes de barbarie, 619, rue Henri de Navarre, 24130 Le Fleix.
Contact : germesbarbarie@gmail.com

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1 commentaire

Bien entendu, ce dossier ne visait pas à l'exhautivité. Concernant plus particulièrement Lucien Jacques, l'ami capital de Giono, une contribution avait été souhaitée de la part de son meilleur connaisseur qui n'y a pas donné suite.

Jacques Ibanès