Tigresse comme maman ? Pauline Peyrade nous fascine

Pauline Peyrade, qui a écrit quatre pièces de théâtre, dont les trois merveilleux contes de Portrait d’une sirène, a dû se souvenir de "Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître" – réplique de Rodrigue au Comte, dans Le Cid, II, car elle paraît avoir voulu concentrer toutes ses forces, toutes ses munitions : style, concision, intensité, force… dans ce premier roman qui a obtenu le Goncourt et qui déjà dressera dans sa vie d’écrivaine une grande stèle blanche. Difficile, par la suite, de faire aussi bien.
L’intrigue de ce roman – selon moi fortement autobiographique – tient en peu de mots : une fillette du nom d’Elsa se sent opprimée par sa mère, femme troublée, inquiète, narcissique, et mère autoritaire qui abuse de sa fille : Elle tâte la couette à ma recherche. […] Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d’identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon.
Née dans l’année du Tigre – Nous emménageons à la fin du mois d’octobre 1993. J’ai sept ans. – la fillette semble douée d’autant d’agressivité que sa marâtre. Lorsqu’elle va inviter sa meilleure amie, la trop gentille Issa qui l’a si bien accueillie lorsqu’elle est arrivée dans sa nouvelle école, elle se débrouille pour que son amie couche en bas de son lit superposé, et… Je me glisse sous la couette. Tiens donc ! Les mêmes mots que ceux utilisés pour parler de sa mère, qui la fouaille. Je descends par l’échelle. […]  La vois d’Issa me guide. Mais peut-être Issa, très jeune elle aussi, ne voulait pas aller aussi loin. Elsa la violente : Je pousse la culotte avec mon nez, je frotte mon visage contre son sexe. Il est dur et rond comme une pomme, un rocher lisse, poli par l’eau claire du bain et le passage du gant de toilette.
L'érotisme saisissant de ce long passage fait penser aux meilleures pages de Léonor de Récondo, dans son fameux Amours, ou mieux encore aux épisodes gourmets et épicés de l'Indienne Abha Dawesar dans Babyji (à lire toute affaire cessante !).
Ce monde très concret, coupant ou rugueux, palpable et étouffant, que l’auteure décrit si soigneusement, participe alors d’une sourde violence, celles des objets qui se rebellent, des douches à l’eau glacée infligées par la mère, de l’immeuble aux infectes couleurs pisseuses. Le royaume des textures a d’infinies superficies… Tous ces tissus, ces rocs, ces moteurs de bagnole et ces appartements paraissent remplacer ceux qui les ont bâtis : les hommes. Aucun homme dans ce roman. Une fillette, une mère, une grand-mère. Ce sera tout. C’est d’ailleurs suffisant.
Puissance et concision, donc. Beau récit, à lire d’une seule traite.
Le final, d’une violence inouïe, jette un éclairage très cru sur ce qu’a dû subir cette fillette, puis jeune fille, qui peut-être est devenue femme.

Bertrand du Chambon

Pauline Peyrade, L’Âge de détruire, Les éditions de Minuit, janvier 2023, 156 p.-, 16€

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