100 photos pour comprendre "Clint Eastwood", le dernier des classiques

Clint Eastwood a d
éjà fait l’objet d’une bibliographie abondante en France (citons juste les ouvrages de Patrick Brion et de Noël Simsolo), signe d’une reconnaissance critique déjà bien solide. L’objet du livre de Samuel Douhaire, ancien critique de Libération, vise à résumer sa carrière en 100 photos significatives. Exercice délicat : comment faire un livre qui puisse à la fois satisfaire les nombreux admirateurs du cinéaste tout et le grand public ? Sans compter le milieu cinéphile…

L'ouvrage a, parmi d’autres, déjà un mérite : montrer la star Clint Eastwood sous des jours inattendus. L’auteur rappelle son enfance pendant la grande dépression (qui inspirera Honky Tonk Man), puis montre ses années d’apprentissage : le voir en jeune débutant aux studios Universal aux côtés de Tony Curtis a quelque chose de roboratif et de rafraichissant (photo n°10). Engagé, après quelques galères rappelées par l’auteur, dans la série western Rawhide, Eastwood a cependant attendu 1964 pour avoir un premier grand rôle au cinéma avec Pour une poignée de dollars grâce à Sergio Leone.

Pourquoi si tard ?« Il me manquait l’apparence que cette décennie semblait réclamer », dit-il et Douhaire insiste en remarquant qu’il ressemblait alors trop à Gary Cooper à une époque où la mode était plus à James Dean et Marlon Brando. C'est une des clefs du personnage : par ses références, il s’inscrit dans la lignée du cinéma classique hollywoodien, celui de John Ford et d’Howard Hawks (photo n° 3 avec l’affiche de Sergent York) et de James Cagney (photo n°5). Il  n’entretiendra d’ailleurs qu’un rapport lointain avec la génération du nouvel Hollywood (Spielberg produira seulement Mémoire de nos pères et Lettres d’Iwo Jima). Il donne néanmoins sa chance à Michael Cimino (futur auteur de Voyage au bout de l’enfer avec Robert De Niro) pour Le Canardeur (photo n°’42).

Samuel Douhaire insiste beaucoup sur le rôle joué par Don Siegel, deuxième maître de Clint Eastwood — Leone est plus son initiateur, celui qui lui a donné sa chance et un personnage iconique, L’Homme sans nom (photo n°26). Siegel, maître de la série B, était réputé pour tourner rapidement et avec efficacité, ce qui en faisait un réalisateur apprécié des producteurs. À Eastwood, il a offert un second personnage iconique, l’inspecteur Harry (photo n°36), flic aux méthodes expéditives(qui achèvera de faire de l’acteur un facho aux yeux de la critique américaine), en phase avec une époque marquée par la montée de la violence urbaine. Rappelons aussi que la star a donné une prestation incroyable en 1971 dans Les Proies (photo n°32) : quel acteur aujourd’hui s’embarquerait dans une histoire pareille qui mène à l’amputation et à l’émasculation du personnage principal ?

Enfin, c’est encore Don Siegel qui lui a transmis cette façon de faire de la mise en scène, artisanale et (faussement ?) effacée. À sa mort, Clint Eastwood a dit de Siegel une phrase qui peut également définir : « il savait exactement ce qui serait tourné et n’en faisait pas davantage ».

Le livre aborde aussi des aspects moins connus de sa vie : sa relation chaotique avec Sandra Locke, son implication dans une opération ratée visant à délivrer d’éventuels prisonniers américains encore détenus au Laos. Les engagements politiques d‘Eastwood, du côté républicain (Nixon et Reagan notamment),  l’ont conduit, pendant un court moment à être maire de la ville de Carmel (photo n°60). Cette image plutôt droitière est aussi un trompe l’œil pour cet amoureux de la musique des noirs américains, en particulier du jazz, qui tournera Bird, biopic consacré à Charlie Parker et aussi The blues en hommage à Ray Charles.

L’auteur connait très bien le personnage et son œuvre. La diversité des photos présentées — prises pendant des tournages, pour la promotion, lors de festivals ou même de concerts- rend justice aux multiples facettes du personnage. On peut cependant regretter que le commentaire soit parfois trop succinct car le talent critique de l’auteur ne fait aucun doute, mais c'est la loi d'un genre qui met avant tout l'iconographie (magnifique) en avant et qui constitue une très bonne introduction à la vie et l’œuvre d’Eastwood. Il rend justice à la légende d’un homme qui, devenu célèbre grâce à Sergio Leone, précurseur du cinéma post moderne, a fini par devenir le dernierreprésentant du cinéma classique hollywoodien, celui de John Ford. Un tour de force, rien de moins, dont Clint Eastwood, 100 photos pour comprendre rend bien compte.

Sylvain Bonnet

Samuel Douhaire, Clint Eastwood, L'Editeur, mai 2010, 200 pages, 24 €

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