"Le jour du fléau", Personne ne sortira d'ici vivant

« Mon premier jour à la brigade des mineurs. Avec Gina ma coéquipière antillaise. Trente- cinq piges, et déjà un vétéran de cette guerre domestique qui ne disait pas son nom. Athlétique. Mammaire.
- Hé Paco, quand je te parle, essaie de regarder au-dessus de la ligne de flottaison. »

Quelque part dans Arkestra…

Paco Riviera, ancien des stups, vient de passer un long moment au placard après l’assassinat de Katia, son informatrice et amante, par des trafiquants colombiens. Il est affecté à la brigade des mineurs et fait équipe avec une superbe Black nommée Gina, lesbienne à l’humour décapant. Riviera, flic dépressif et alcoolique, culpabilise sur la mort de Katia, qu’il voit un peu partout et, pour tenir le coup, se défonce à la codéine contenue dans du sirop pour la toux. Gina et lui enquêtent sur une affaire d’enlèvement de mineure, Pauline. Leurs investigations leur font peu à peu découvrir un vaste réseau d’esclaves sexuelles aux ramifications multiples : police, hommes politiques, tous en croquent. Riviera, obsédé par son enquête et par son passé, commence alors sa descente aux enfers.

Archétype et clichés

Drôle d’objet que ce Jour du fléau ! Les premières pages du roman font croire à un défilé de clichés aussi éculés les uns que les autres : flic dépressif en quête de rédemption, collègue gay au grand cœur, ville corrompue, police pourrie… Jusqu’à la langue employée. Parfois on retrouve certaines tournures argotiques à la Gainsbarre de You’re under arrest. Or Madani a l’art de faire passer ces choix stylistiques par le rythme et le crescendo de son phrasé — héritage de son passé de journaliste musical ? — qui transcendent largement l’utilisation d’archétypes et de clichés qui peuvent ennuyer un lecteur blasé (ils existent, j’en rencontre et dans mes mauvais jours, j’avoue pouvoir en être aussi parfois).

Arkestra évoque plus les mégalopoles d’Amérique du Nord que des villes européennes. On pense aussi bien sûr au Gotham de Batman — cité textuellement par l’auteur — et également au Sin city du dessinateur de comics Frank Miller : même goût pour les codes du film noir, pour la violence, pour des schémas narratifs dramatisés à l’extrême, pour des personnages féminins forts et sexy. La relation entre Riviera et sa collègue d’une part, d’où le sexe est à la fois banni et omniprésent, et celle avec sa psychiatre d’autre part, rappellent d’ailleurs celle entre le personnage de Marv et sa psy dans le premier volume de Sin city… Est-ce un hommage ? Le signe d’un goût très postmoderne de la citation ?

On est partagé sur ce roman entre une certaine fascination pour le staccato des phrases et l’agacement devant un univers très référentiel, loin de la réalité française et dépourvu de l’aspect critique sociale du roman noir. Pour autant, force est de reconnaître que l’ensemble est plus qu’efficace.

Voici donc une expérience à tenter. On attend avec curiosité la suite car ceci n’est que le premier volume des chroniques d’Arkestra : Madani doit maintenant tenir ses promesses.


Sylvain Bonnet

Karim Madani, Le Jour du fléau, Gallimard, « Série noire », Novembre 2011, 297 pages,14,10 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.