"La malédiction Hilliker", femmes je vous aime!

Il semble évident que James Ellroy est l’auteur de romans noirs le plus marquant ses vingt-cinq dernières années. De Lune sanglante au Dalhia noir, du Grand Nulle Part à American Tabloïd, il n’a eu de cesse de traquer le noir, cette ambiance si particulière inventée par Dashiell Hammett dont il s’affirme l’héritier. Obsédé, Ellroy puise l’origine de son talent dans son obsession des femmes — les personnages féminins sont les véritables moteurs de ses intrigues, aime-t-il à dire —, qui remonte à sa mère et à cette scène primitive qu’est son meurtre. Il a déjà raconté dans Ma part d’ombre le récit de son enquête autour de la mort de sa mère. Tout autre est l’objet de La Malédiction Hilliker.

Cherchez les femmes !

Ellroy définit La malédiction Hilliker comme « un manifeste romantique » et la phrase d'ouverture, « Pour que les femmes m'aiment », énonce  le principe fondateur de sa pensée. En six mouvements — « Elle », « Elles », « Cougar », « La Déesse », « La Pluie », « Elle » —, il revisite à la manière d’une symphonie les moments clés de ses relations avec les femmes. De la mère aux amantes, des amies aux épouses, toute son œuvre procède du féminin et trouve sa source dans cette « malédiction » sur laquelle il s'expliquait déjà dans Ma part d'ombre : « Ma mère m'a donné ce cadeau et cette malédiction : l'obsession ». C'est précisément le cœur de ce nouveau livre : l'obsession des femmes, son seul et unique moteur. Il est là pour les posséder, les aimer, les protéger, se faire protéger. Pour racheter la mort de sa mère ? Enfant, elle lui demanda avec qui il préférait vivre. Il répondit : avec papa. Sa mère le frappa et il lui lança qu’il souhaitait la voir mourir. Trois mois plus tard, elle était assassinée.
 
Persuadé d’être à son tour victime de cette malédiction, rongé par la culpabilité, il décide de l’annuler à travers la quête des autres femmes, en passant de « Elle » à « Elles ». Les autres, ce sont d’abord les adolescentes sur lesquelles il fantasmait dans sa jeunesse et avec qui il n’a guère de succès. Ce sont aussi des femmes mûres, réelles ou imaginées : toutes l’accompagnent dans sa vie, dans sa tête où elles alimentent ses fantasmes et sa créativité.

Arrivent celles qui exercent une influence majeure sur lui : la journaliste Helen Knode, alias « Cougar », qu’il épouse et avec qui il noue une relation stable mais qui finit par dégénérer ; puis « La Déesse rouge » Joan, inspiratrice du personnage éponyme d'Underworld USA, et enfin, l'autre « Elle », la femme qui partage sa vie aujourd'hui, Erika. Grande, rousse, celle qu’il appelle son âme sœur et qui ressemble, étrangement et évidemment à sa mère :

« Elle m’a trouvé alors que je me cherchais désespérément, affamé d’Elle et de personne d’autre. Son amour sublime m’enhardit et annihile ma peur et ma rage. Elle est Jean Hilliker ressuscitée par un alchimiste, et bien plus encore. »

Confessions

Ellroy met sa vie à nu dans ce livre impressionnant d'abord par la lucidité et l'honnêteté dont il fait preuve car tout y passe: son alcoolisme, ses activités de voyeur, ses activités de dragueur compulsif — « la banlieue, c’est le goulag du sexe ! » —, plus récemment sa dépression. Exercice sans concession, La Malédiction Hilliker évite pourtant l’écueil de l’exhibitionnisme car Ellroy fait partie de ces créateurs qui métamorphosent leur vécu le plus intime en objet littéraire : lui-même devient le personnage d'Ellroy écrivain. Il y parvient au moyen d'un style sans préciosité, qui peut devenir soudain grave et élégiaque, transformant alors le récit en une déchirante confession, en un hommage à ces femmes remplies de contradictions qu’il s’est entraîné sa vie durant à connaître et à aimer, persuadé qu’il était le seul à pouvoir à les comprendre.

Ce livre mystique et électrique rassemble toutes les fulgurances et les faiblesses d'un homme, pudique sous ses dehors de mad dog, qui a mis sa vie au service de la littérature noire. Il apporte de plus un éclairage nouveau sur ces portraits de femmes, fatales ou non, qui parsèment son œuvre. Enfin, laissons à notre auteur, une fois n’est pas coutume dans un texte critique, le mot de la fin, tout de démesure mais caractéristique d’un homme ayant trouvé la rédemption grâce à la Femme :

« Je suis Beethoven avec ses derniers quatuors, mais un Beethoven qui aurait recouvré l’Ouïe. »


Sylvain Bonnet

James Ellroy, La Malédiction Hilliker, traduit de l'américain par Jean-Paul Gratias, Payot, Rivages, Janvier 2011, 278 pages, 20 €

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