Le Coma, ou les méditations oniriques d'Alex Garland

Comme un pied de nez à Descartes et à ses Méditations Métaphysiques, Alex Garland promène son personnage, Carl, d'un monde à l'autre à la recherche d'une unité stable et sur laquelle refonder son propre réel : victime d'une agression dans le métro, il entre dans un coma profond dont seule émerge sa conscience devenue surréelle.

Le récit est une quête qui fait alterner sans possibilité de démêler l'un de l'autre les états de « conscience consciente » et les états de « conscience inconsciente », le tout dans un corps en coma depuis une agression dans le métro : le rêve devient réalité dès lors qu'il n'y a rien d'autre. Mais les enjeux sont au-delà de la narration : la conscience onirique éveillée part en quête d'un élément enfoui dans la conscience endormie pour créer le ressouvenir nécessaire à la reprise de conscience. C'est une multitude de strates qui se disputent la prise de contrôle de Carl, toujours allongé, dans un processus narratif en spirales multiples dont il n'est pas évident de déterminer avec précision quel est le réel et le trouble. Mais Alex Garland maîtrise si bien son affaire que le lecteur est sans cesse pris par le doute et confronté à des éléments dont il ne sait que faire. Où est le réel ? Si tout cela n'est que dans la tête de Carl inconscient sur son lit d'hôpital, alors c'est la lutte d'une âme en détresse qui nous est montré, comme l'indique Alex Garland dans une note postface un peu saugrenue et, pour tout dire, superflue.

Il y a une telle inversion que l'éveil — la prise de conscience ou l'accès à un état supérieur de sa propre conscience —, est en fait une disparition : « Je ne sais comment l'idée m'est venue que mourir, c'était s'éveiller ». Alex Garland manifeste ainsi son rapport au réel, dont avant tout il faut s'échapper (ce qui est une constante dans son oeuvre).

L'éveil est la finalité du parcours de la conscience de Carl, le choc initial qui l'a plongé dans le coma le fait perdre pied avec la réalité, si bien que même son inconscient, jusque là solide, n'est plus en mesure de comprendre tout à fait de quoi il retourne :

« Dans la mesure où je ne distinguais pas mes hallucinations de la réalité, il m'était difficile de concevoir une base solide à partir de laquelle me définir. / J'étais conscient, mais c'est tout. »


La conscience-onirique égarée à la recherche d'un point d'ancrage pour permettre l'éveil de la conscience consciente et du corps toujours comateux reprends donc le chemin de la mise en doute cartésienne du réel pour trouver ce qui n'est pas révocable (« je suis / ego sum ») et, à partir de ce fragile élément, reprendre le fil jusqu'à l'éveil. Les passages de l'un à l'autre état, les distorsions, les fragments, rien n'est, sinon la recherche de l'être.

Quête métaphysique, Le Coma est aussi une tentative magistralement aboutie pour dire l'onirique, avec le penchant propre à Alex Garland de concevoir la veille comme « défectueuse » par rapport au sommeil :

« On se réveille, on meurt. / La formulation est juste. On se réveille et on perd le fil du récit pour ne plus jamais le retrouver. »

Un roman à la sereine étrangeté, compliqué comme un parcours initiatique et comme la querelle en chacun de la prise de conscience et du doute. Une magistrale leçon de roman, une plongée sans pareil dans les limbes.

Les quarante trois illustrations de Nicholas Garland, père de l'auteur, dessins comme des gravures sur bois d'un noir profond et absorbant, sont autant de traces de la lutte entre le réel qui se pose comme tel et les innombrables éléments qui composent le doute.

Loïc Di Stefano

Alex Garland, Le Coma, 10/18, novembre 2009, 160 pages
Illustration de Nicholas Garland, 7 euros

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