Mauron-Giono et la langue provençale

Serge Fiorio m’avait rapporté la mince partie d’un dialogue auquel il avait assisté et ayant eu lieu entre Jean Giono et Marie Mauron à propos d’écriture.
Marie affirmant que, bien que les rédigeant en français, ses livres elle les pensait toujours tout naturellement en provençal, sa langue maternelle : C’est comme ça qu’ils me viennent !
Ce à quoi, c’est un Jean Giono sûr de lui qui crut pouvoir marquer là un point – final ? – en lui récriminant ainsi du tac au tac, plus que malicieusement moqueur, sarcastique, selon les dires de Serge : Attention Marie, ça se sent !
Ce qui en soi n’est vraiment en rien, à vrai dire, un argument mais, bel et bien, par contre, une brutale tentative de dévalorisation en bloc et immédiate. Alors, cette réplique qui, dite sur un autre ton, aurait dû être une boutade, un mot d’esprit taquin en passant, porte ainsi, à mon sens en tout cas, le sceau d’une pique volontairement plus que discourtoise et sacrément indélicate vis-à-vis de cette consœur en écriture parfois respectueusement appelée, à tort ou à raison, la Grande Dame de Provence…
Sans parler de l'évident dédaigneux mépris porté là, en premier, à la langue provençale.

Mais, cela ne datant pas d’hier, immémorial, n’y-a-t-il pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ? Giono exécrant, discriminant, en effet, toujours autant que possible, cette langue jusqu’à carrément en nier publiquement l’authentique existence  –  comme dans ses entretiens avec Jean Carrière, par exemple  – ; tandis que tout un chacun la parlait pourtant couramment – et cela, depuis au moins quatre siècles ! – chaque jour dans son cher gros village campagnard qu’était alors Manosque du temps de son enfance et puis encore au moins tout celui de sa jeunesse ! Le français n'ayant pas encore acquis pignon sur rue, si je puis écrire, sauf administrativement.
Mieux que ça, prouvant combien le provençal ne lui était en rien étranger, bien au contraire : Giono le comprenait à merveille, puisque l’ayant parfaitement mis à profit lui-même avec esprit, il y circule aujourd’hui encore, et à jamais, en toute liberté comme une sève vive, forte, colorée, parfumée et excellente, en certaines de ses œuvres d’avant-guerre, tout particulièrement en sa mémorable Trilogie de Pan.

Quoi d’autre ? Rien de plus pour cette fois que ce tout petit focus qui, un brin de mémoire aidant, m’est soudain venu sous la plume et sur lequel, certes, manquent hélas cruellement l’avis, le point de vue ou le commentaire avisé d’un troisième écrivain, ami commun des deux de longue date, mais décédé lui aussi : Pierre Magnan.
Il eut été édifiant de connaître également – car grand peintre de culture quasi exclusivement haute-provençale – la position d'Eugène Martel quant à la nature identitaire des œuvres.

PS : je viens de retrouver à l'instant un paragraphe où ce dernier aborde quelque peu le sujet dans sa correspondance avec Giono – lettre du 10 juillet 1930 contenue dans le hors-série de la Revue Giono qui vient de paraître :

André Lombard

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Colline traduit en occitan
Revue Giono. Hors-série Eugène Martel

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