L’art en 5 Studiolo : avec Bacon, Dubuffet, Soutter, etc.

L’art en poche ? Et pourquoi pas puisque la littérature applique depuis longtemps la réduction des tailles et volumes. Tout en conservant la qualité. Ainsi nous voilà inspirés. Cinq nouveaux inscrits dans la collection Studiolo qui ouvrent les portes de nouveaux horizons. Reprises d’anciens livres célèbres et deux inédits. De quoi nourrir notre soif d’ailleurs pendant les vacances prochaines. Jamais de sac fermé sans mon livre de poche…

Le premier, est consacré à Francis Bacon vu par un écrivain. De suite l’attention se tend. Enfin un livre d’art qui n’est pas écrit par un universitaire, un professionnel. On aura donc un ressenti différend. Il écrit ce qu’il pense et non selon le dogme. Il n’a aucune théorie à défendre. Il est sombre et imprévisible, il perçoit les détails, il est un roman à part entière et construit son livre comme une fiction, faisant de Bacon son héros. D’ailleurs il fut un ami du peintre. Longues conversations, travail commun pour des entretiens filmés ou radiophoniques. Complicité mais aussi questionnements, recherches, pensées à étapes. Mais forcément point de distance. Ce sera donc après la mort de Bacon que David Sylvester se mettra à écrire Looking Back at Francis Bacon. Construit en trois parties – Parcours, Regards et Entretiens – il aborde un premier survol historique de l’œuvre puis déploie cinq analyses critiques sur ses principaux aspects ; avant de reprendre un best of de fragments inédits de leurs nombreux entretiens. L’intérêt supplémentaire de cet ouvrage réside dans le travail réalisé par Sylvester sur des peintures qui n’ont été retrouvées qu’après la mort du peintre.

Louis Soutter était fou. À moins que ce ne soit nous tous qui marchions sur la tête et Louis et Antonin qui sont dans le vrai. Parfois la question me taraude… Toujours est-il que voilà aussi un écrivain qui peint. Ou un peintre qui parle ? Artaud et Soutter mis au banc des accusés ou retirés volontaires ? J’aime ce mystère qui laisse une porte dérobée sur l’idée que, peut-être. Face à trop d’impossibles, l’homme se retire. Folie sur-jouée, folie réparatrice, suicide antérieur comme le suggère Michel Thévoz, spécialiste de l’art brut ? Brisé socialement, Louis Soutter plongera de l’autre côté du miroir. Et offrira au monde une œuvre extraordinaire. Avant les petits bonhommes de Keith Haring, il inventera cet espace entre l’imaginaire et le corps, la structure anagrammatique des figures, l’analogie qui se déploie entre la scénographie des dessins et celle du rêve. Bref, il sera un précurseur… trop longtemps ignoré. Car Soutter n’entrait pas vraiment dans les bonnes cases (sic). Une écriture plastique est-elle une œuvre d’art ?
Ou la manifestation d’un désir, ce moteur de tout, selon Georges Didi-Uberman. Comprendre, interpréter, deviner, inventer. Tout faire ou tenter de faire quelque chose. Ce que je regarde, ce ne sont ni les toits, ni les escaliers : c’est le vide qu’il y a entre eux. Soutter, l’homme pressé ? Redonner vie, reproduire par le dessin, laisser une trace… Déposer l’image d’un rêve, la plastique d’une émotion, le trait d’une suggestion.

Tout aussi particulière, l’œuvre de Dubuffet prend racine dans la bibliothèque paternelle. Enfant, le voilà qui invente une langue peau-rouge pour construire le lexique de son musée des productions de la nature, ramassées ici et là. S’extraire du poids autoritaire conduit le jeune homme à bâtir une œuvre investie récursivement par la sensibilité collective. Mais il lui faudra attendre la quarantaine pour s’investir pleinement dans la peinture. Vingt ans de maturation pour chasser les velléités de formation de l’école des beaux-arts – dont on sait le mal que certains dogmes imposés, comme le refus de la peinture figurative, firent à certains élèves. Et enfin le lien entre poésie, philosophie, littérature, ethnographie et autres voisinages de langues mortes, se réalise. Déroutant, mimétique, les œuvres dérangent. Art n’égale plus la beauté ? Ce sera l’esthétique de la catastrophe, nouvelle manifestation d’un art brut livré au public sans la moindre concession. À prendre ou à laisser.

Pourfendeur de l’immobilisme, Michel Thévoz s’empare de l’œuvre d’Hans Holbein en inversant le processus. Dans cet essai inédit – et volontairement provocateur – il retourne le Temps de la perspective historique et postule que Holbein fut influencé par Andy Warhol. Tordant le bras au réel dans le lignée de cette pipe qui n’en serait point une, il refuse de se laisser intimider et enfermer dans un raisonnement qui se justifierait uniquement par le passé. Tout artiste ne singe pas son prédécesseur. Car, selon Michel Thévoz, une œuvre d’art n’est pas un objet, elle n’est point définitivement pourvue de ses qualités intrinsèques comme le citron de sa couleur jaune. C’est une relation. Un échange entre le fabriquant et le regardeur. Donc un objet nous parle dès lors que nous le désignons. Lui donnons sa place. Il rejoint les signes qui nous entourent. Et participe ; ainsi le portraitiste nous administrerait une leçon de psychologie. Il nous ouvre les arcanes de l’âme humaine… Holbein est donc à la fois traditionaliste, provocateur et postmoderne incisant le paysage artistique pour mieux révolutionner son dessein. N’oublions pas que si Dürer avait appliqué ses théories, Ingres avait suivi ses propres principes, Kandinsky ceux qu’il énonçait dans Du spirituel dans l’art, aucun n’aurait accédé au champ artistique !

 

Annabelle Hautecontre

David Sylvester, Francis Bacon à nouveau, traduit de l’anglais par Jean Frémon, 12 reproductions N&B, L’Atelier contemporain, mai 2022, 224 p.-, 8,50 €

Michel Thévoz, Louis Soutter ou l’écriture du désir, 74 reproductions N&B, L’Atelier contemporain, mai 2022, 416 p.-, 11,50 €

Michel Thévoz, Dubuffet ou la révolution permanente, 34 reproductions N&B, L’Atelier contemporain, mai 2022, 288 p.-, 9,50 €

Michel Thévoz, Hans Holbein – Maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité, etc., 48 reproductions N&B, L’Atelier contemporain, mai 2022, 192 p.-, 7,50 € inédit

André Scala, Pieter de Hooch, un peintre à l’infinitif, 24 reproductions N&B, L’Atelier contemporain, mai 2022, 416 p.-, 7,50 € inédit

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.