Le Bloc, le polar de Jérôme Leroy sur l'extrême droit et les identitaires

"F
inalement, tu es devenu fasciste à cause d'un sexe de fille."

Commencer un roman par une phrase pareille dénote un culot, un désir de prendre le lecteur à bras-le-corps, une envie de provoquer qui suscite une attente susceptible de se transformer aussi sec en féroce déception. Ici, on ne connaît pas l’auteur, jamais entendu parler avant. Le choc de la première phrase n’en est que plus terrible. Mais va-t-il tenir ce rythme ? Chers lecteurs, au risque de ne pas vous faire lire la suite, la réponse est oui.

Demain la France, Terminus la peur

« La France a peur », annonçait autrefois Roger Gicquel. Ça n’a jamais été aussi vrai que dans ce roman où les banlieues sont secouées par des émeutes sanglantes. Le gouvernement, aux abois, décide d’entamer des négociations avec le Bloc Patriotique, parti d’extrême-droite. Agnès Dorgelles, la fille du fondateur, se rend discrètement dans les palais de la République pendant que son mari, Antoine Maynard boit devant la télé. Quelque part en ville, des tueurs sont lâchés par le Bloc pour en finir avec Stanko. Stanko, chef de la sécurité du Bloc, homme des basses œuvres, au courant de tous les secrets les plus inavouables du parti, doit disparaître. C’est le prix à payer. Maynard boit, pense à son meilleur ami, son frère, tapi quelque part, qui attend les tueurs. Et se souvient.

Soldats perdus

Maynard est l’intellectuel, l’écrivain qui adore aller casser du gauchiste. Rebelle à sa famille, il a choisi l’extrême-droite pour faire chier ses parents, avec au cœur le souvenir de son grand-père communiste, l’autre rebelle, le seul auquel il désire ressembler. Stanko, c’est l’enfant du Nord, élevé dans la pauvreté qui voit se fermer les usines. Son père sombre dans l’alcoolisme et meurt pendant que sa mère couche avec l’épicier arabe du coin : Stanko en devient fou et commet son premier meurtre. Maynard fraie avec les petits blancs, fréquente les milieux d’extrême-droite avant de rejoindre le Bloc, une aventure pour lui autant esthétique que politique. Maynard et Stanko se rencontrent. L’intellectuel et le prolétaire. Ils s’aiment comme des frères, au service de Dorgelles. Communient dans la haine du Système et le rejet des immigrés. Mais ils sont sincères, se voient comme des chevaliers prêts à mourir pour la patrie, en laquelle s’incarne Agnès, la fille du chef, ce sexe de fille pour lequel Maynard devient fasciste.

Force du style

On aura reconnu derrière la fiction les Le Pen père et fille, le Front derrière le Bloc Patriotique. Mais ce roman est plus qu’une enquête où un exercice de politique fiction. Véritable bombe littéraire, le Bloc séduit aussi par sa narration à deux voix, ce « je » et ce « tu » qui s’entremêlent et nous entraînent au cœur même de la psyché de ces deux personnages. Voyage au bout du pays des fachos ? Plus que ça. Leroy ne juge pas ses personnages, ne voit pas en eux des monstres. Il les montre humains, trop humains. Ils s’aiment, s’agitent. Commettent des actes terribles mais qui pour eux sont au service d’une cause juste. Ils nous ressemblent plus que la bonne conscience de certaines élites ne voudrait bien l’admettre.

Leroy nous parle d’aujourd’hui, de ce qui secoue la société française depuis trente ans. De la fin des idéologies, de personnages déstabilisés par la crise économique et morale. Il jette un regard acerbe, réaliste sur ce qui se passe aujourd’hui et pas demain.

Pour finir, en hommage aux soldats perdus et à ce roman aussi monstrueux qu’explosif, aussi politique que noir, laissons le dernier mot à Eddy Mitchell, dont l’extrait ci-dessous colle si bien aux personnages du roman :

« Je vous dérange, fallait pas me provoquer
Je vous dérange, je suis pas venu vous chercher
Je vous dérange, fallait pas m’inviter
Je vous dérange, mais je n’ai rien demandé »

Sylvain Bonnet

Jérôme Leroy, Le Bloc,
Gallimard, « Série Noire », Octobre 2011, 296 pages, 17,50 €

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