"Projections macabres", l'épopée des pionniers du cinématographe continue

PROJECTIONS MACABRESAprès le miroir des ombres et La Danse des illusions, Brigitte Aubert nous livre ici le troisième tome des enquêtes de Louis Denfert, journaliste au Petit Eclaireur.

 «Je vois le feu s'élever.»

Dans les deux premiers tomes des enquêtes de Louis Denfert, celui-ci s’était retrouvé au cœur de la lutte pour la mise au point du cinématographe. En 1897, c’est chose faite : le cinématographe est né grâce aux frères Lumière et attire la foule des curieux. Il s’agit d’ailleurs d’une des principales attractions du Bazar de la charité organisé le 7 mai 1897. Pour cinquante centimes, les spectateurs pourront assister à la projection des images d’une sortie d’usine, d’un train entrant en gare et du célèbre film L’Arroseur arrosé. Cette levée de fonds pour les plus démunis rassemble en ce jour le gratin de la bonne société parisienne. C’est lors de la projection que le drame se produit : voulant remplir la réserve d’éther, qu’un des assistants déclenche un terrible incendie qui cause la mort de 129 victimes dont la duchesse d’Alençon, sœur d’Elisabeth d’Autriche.

Louis Denfert, qui fait partie des rescapés, découvre dans les cendres encore chaudes le corps brûlé d’une jeune femme assassinée et éventrée. Il fait rapidement le lien avec l’enquête qu’il mène au même moment sur l’assassinat d’une jeune bergère de 15 ans, morte dans les mêmes circonstances. Accompagné d’Emile Germain, boxer et ancien sapeur, d’Albert, médecin légiste et illusionniste à ses heures ainsi que de Camille de Saens, actrice et bonne amie de Louis, ce dernier se lance sur la trace d’un des premiers tueurs en série de Paris à Aix-les-Bains. Les faux-semblants sont nombreux et Louis va devoir mettre tout en œuvre pour démêler les écheveaux d’une affaire bien plus complexe qu’une simple affaire de meurtres.

Epastrouillant !
 

Louis Denfert et son équipe nous plonge dans l’ambiance de la fin du XIXe siècle. Ce petit cousin de Joseph Josephin, alias Rouletabille, le héros de Gaston Leroux, a de l’énergie à revendre et semble être attiré comme un aimant par les meurtres et les mystères. Mais plus encore que l’enquête ce qui étonne voir désarçonne, c’est l’utilisation de l’argot parisien, de ces expressions aujourd’hui quasi exotiques : c’est bath, chichocandard et j’en passe, fleurissent à chaque tirade. Les répliques s’enchaînent et fusent entre les protagonistes. Des dialogues à la Michel Audiard qui font l’originalité de ce policier mais qui nous font aussi parfois perdre le fil.

Il faut reconnaître qu’on s’y perd tout de même un peu dans ce méli-mélo. Un tueur en série ou deux. Des tentatives d’explication freudienne de leur comportement mais peut-être aussi une branche sataniste des francs-maçons à moins qu’il ne s’agisse de la volonté divine annoncée par la Couëdon, cette mystérieuse jeune fille qui avait annoncé en vers, l’incendie du bazar de la charité. Tout cela pourrait nous paraître capilotracté mais correspond pourtant à l’atmosphère spirituelle et mystique de la fin du XIXe siècle. On s’y croirait presque. Au cours de son enquête, Louis Denfert est amené à croiser un certain nombre de personnages qui prennent vie sous la plume de Brigitte d’Aubert : Mistinguett, Claude Debussy ou encore le jeune Marcel Allain accompagné de Sacha Guitry âgé de 12 ans se moquant de son camarade : « Celui-là, quel bassin ! Y’en a marre d’son Fantomard, l’cauchemar des plumards ! » De l’incendie du Bazar de la charité à la société du XIXe, tout témoigne d’un travail approfondi de recherche de l’auteur.

Crimes et cinématographe

Le sujet central du troisième tome, tout comme des deux premiers, est le cinématographe, son invention et l’innovation qu’il représente à l’époque. Il nous est en effet difficile d’imaginer ce que les premiers spectateurs ont pu ressentir en voyant une locomotive arriver droit sur eux pour la première fois ! Le cinématographe est ici employé par le tueur pour filmer la mort de ses victimes afin de pouvoir revivre le moment. Filmer la mort : de quoi faire dresser les cheveux sur la tête de notre reporter et il n’est pas le seul ! Pourtant c’est de cette idée qu’est née la censure.

Officieusement, la censure est née en 1899 par un arrêté préfectoral interdisant localement le film l’Affaire Dreyfus de Georges Méliès où ce dernier prend ardemment la défense du capitaine accusé de trahison. Mais c’est l’idée de filmer la mort d’un homme, un vrai qui est à l’origine de la création officielle de la censure cinématographique. En 1909, quatre membres de la bande à Pollet ou d’Hazebrouck, accusés de sept meurtres et 18 tentatives, sont exécutés à Béthune. La France n’a pas connu d’exécution capitale depuis 3 ans et de quadruple exécutions depuis 1871 : il s’agit donc d’un événement qui attire les foules mais aussi les opérateurs Pathé. Las des actualités et des films de l’illusionniste Méliès, le public se tourne vers un cinéma plus voyeuriste tournant entre autre autour du crime. Les opérateurs Pathé produisent ainsi toute une série de reconstitution d’exécutions capitales. En 1909, le ministre de la justice craignant qu’une exécution filmée encourage un voyeurisme déjà trop macabre (les exécutions sont encore publiques), interdit l’utilisation de tout appareil permettant de filmer. Les opérateurs Pathé bravent l’interdit. Cet incident va entraîner l’émission d’une circulaire administrative interdisant tous les spectacles cinématographiques susceptibles de provoquer des troubles publics : c’est la naissance officielle de la censure.

La censure qui sera peut-être le thème de la prochaine enquête de Louis Denfert puisque la série devrait encore compter deux tomes.


Julie Lecanu

 
Brigitte Aubert,  Projections macabres, 10/18, «Grands détectives», mai 2009, 427 pages, 8,60 €

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