l'Homme de ses rêves ou les travers de l'Amérique

Chef de file de l’école du New Yorker, où on été formé Truman Capote, J.D. Salinger, John Updike, Philip Roth, entre autres, John Cheever (1912-1982) est considéré comme le grand écrivain des travers de l'Amérique heureuse de la côte Est, héritier de Francis Scott Fitzgerald. Mais la publication de ses douze premières nouvelles, recueillies dans l'Homme de ses rêves, montre une toute autre facette de lui, inverse même : il va chercher dans la misère la petite lumière qui donne l'espoir, lumière d'une soudaine lucidité douloureuse.


Écrites dans les années 30-40, en pleine Dépression, ces nouvelles sont toutes d'une rare concision, l'ellipse est reine de ces petites vies sorties de l'ombre : une strip-teaseuse, un commis-voyageur, un parieur aux courses, des joueurs, d'autres petites gens dont la force est de créer l'émotion par la prise de conscience de cette vie vouée à rien. C'est dans ce regard porté sur soi-même que les personnages de Cheever son beaux. Toute la tristesse et l'amertume d'une époque dessinée par la crise est renforcée par le souvenir de l'éclat de l'American way of life, l'idéal terni par les tensions du quotidien.


Mélancoliques, porteuse de nul espoir, ces nouvelles dressent le portrait d'une Amérique perdue dans son présent inutile, voué à n'engendrer que toujours plus de misère, à attendre dans une lassitude morne que quelque chose advienne, comme si les forces intérieures faisaient défaut. Ces nouvelles servent aussi à témoigner de la rudesse d'une époque où l'industrie se meurt petit à petit, où les usines ferment... ainsi dans Autobiographie d’un commis-voyageur Cheever met face à face la dure réalité économique et sociale et le rêve américain... "Les gens avaient enduré un hiver sec avec très peu d'argent et rien à manger. La moitié de la population était au chômage"


Un recueil plein de beauté et d'amertumes, manière d'envers du décor qui, avec On achève bien les chevaux d'Horace McCoy, laisse un beau témoignage d'un pays fastueux en période de crise. D'une étonnante actualité.


Loïc Di Stefano


John Cheever, L'Homme de ses rêves, traduit de l'anglais (USA) par Laetitia Devaux, Gallimard, "folio", janvier 2013, 192 pages, 6,50 eur


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