Les Temps Passats de Joan-Ives Roier

Acheté en tontine, le moulin de Giono au Contadour est donc revenu, comme initialement convenu devant notaire, au dernier survivant ; à savoir Jean Lescure qui, je ne sais en quelle année, mais encore de son vivant en tout cas, en fit don à diverses personnes amies – parmi lesquelles certains membres d’une famille de paysans du pays, les Merle – constituées en association.
Ce qui, tout de suite, provoqua une levée de boucliers de la part du cercle gionien qui – incontinent, mais en vain – estimait alors véhémentement pouvoir, en mémoire de Giono bien sûr et de ses compagnons pacifistes d’avant-guerre, en revendiquer l’entière propriété afin de le mettre en valeur à sa guise.
Pour Jean Lescure, tout avait commencé comme suit, si l’on en croit Wikipedia : Apprenant en 1935 à Bormes-les-Mimosas, après un voyage à pied de Genève à Marseille, que Jean Giono invite ses lecteurs à le rejoindre pour une randonnée d'une dizaine de jours à travers les paysages de ses romans, il rejoint Manosque et participe en septembre au premier Contadour dont, arrivé parmi les premiers, il assure l'organisation.
Il est l'un des quatre acheteurs légaux, en tontine, du
moulin  des contadouriens et devient le secrétaire de Giono. En 1936 il participe, à Pâques, au deuxième Contadour, élabore le projet des Cahiers du Contadour et en dirige les deux premiers numéros, le premier édité en juillet, (le deuxième en mai 1937). En octobre, il se retire du Contadour et de ses Cahiers à la suite de dissensions avec Hélène Laguerre et les amis de Giono.
Par arrêté du 17 juin 1996, le lieu (comprenant la maison, y compris la tour du moulin en ruine, les murs formant enclos et le mur à arcades) est désormais inscrit au titre des Monuments Historiques.
Si le moulin – le mal nommé, puisque maison meunière en réalité – n’est pas, il est vrai, souvent ouvert aux visiteurs, ce qui, sans aucun doute, protège et sauvegarde ainsi préventivement le site d’un afflux intempestif de touristes en tout genre, il n’en continue pas moins, certes, de vivre sa vie ! Volant même, si je puis écrire, tout à fait de ses propres ailes !
Pour preuve, ce que nous en dit en miroir, par exemple, ce rigoureux tout autant que fort baroque sonnet extrait du recueil Les Temps Passats de Joan-Ives Roier en lequel l’auteur nous conte et nous partage, dans la langue même du pays, son souvenir très personnel de l’une de ces amicales réunions y ayant lieu de temps en temps, impromptues, en plus ou moins petit comité…

Barjaca, la Merlata charrava tant e mai
a taula au molin vièlh que la lutz festejava ;
lo dimenge d’ivèrn clar e doç s’enaurava
sus la poncha dei sèrre’ amolats d’aire gai.
Les pèiras disián ren e lo Merle nimai
ò alòr pas grand causa. Lo temps se passejava
defòra entre les pins, e de còps se pausava
un pauc dins lei faiards l’espaci d’un badalh.
Pensava ai Merlatons que se son envolats
e de son Comptador an totes trecolat,
laissent dedins sei nis mai de mòrt que de vida.
De lòng dau cabanon tornent mai au clapier,
lo jaç vuege de feda’ a lo ventre badier
que crida Lura amont, de neu dura vestida.

....la bergerie vide de brebis a le ventre béant qui appelle Lure, là-haut, vêtue de neige dure. Photo Pierre Ricou.

Bavarde, madame Merle discutait tant et plus à table au vieux moulin que la lumière fêtait ; le dimanche d’hiver clair et doux se dressait sur la pointe des crêtes aiguisées d’air joyeux. Les pierres ne disaient rien et monsieur Merle non plus, ou alors pas grand-chose. Le temps se promenait dehors entre les pins, et parfois se posait un peu dans les hêtres l’espace d’un bâillement. Il pensait aux petits Merle qui se sont envolés et de leur Contadour se sont tous éloignés, laissant dans leurs nids plus de mort que de vie. Le long du cabanon redevenant tas de pierres, la bergerie vide de brebis a le ventre béant qui appelle Lure, là-haut, vêtue de neige dure.

André Lombard

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Ô sacré moulin du Contadour !
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Le pain d'étoiles
Pierre Ricou chez lui, tout simplement !

Joan-Ives Roier, Les Temps Passats, 151 sonnets avec version française de l'auteur, Ediciens Jorn (38, rue de la Dysse, 34150 Montpeyroux - 04 67 96 64 79), mai 2006, 160p.-, 18€

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