Henri Cartier-Bresson au dessin (2)

                                                       Portrait de Serge Fiorio par Martine Franck, Montjustin août 1984.

Henri Cartier-Bresson aurait voulu être peintre, les enviait et, en toute modestie en regard de son œuvre de grand photographe, ne s'en cachait pas le moins du monde tant la bonne peinture lui tenait vraiment à cœur. Le dessin au crayon qu'il adopta à la soixantaine et en lequel, bien à sa façon – retour inverse de la lumière sans doute ! – il excella tout de suite, lui a été lot de consolation en quelque sorte ; qu'il n'a pas boudé, loin de là ! Il ne dessinait jamais d'imagination, toujours ce qu'il "voyait" dans ce qu'il avait choisi pour sujet. Fidèle à la réalité, donc, et pourtant, comme il se doit, donnant à voir par-delà, au-delà, de surcroît...

Aussi, parfois seul ou bien en compagnie de cet autre photographe de talent qu'était son épouse Martine Franck, avec des amis de passage chez eux dans leur maison de vacances, il aimait souvent monter au village à pied par le sentier et puis venir y sonner à la porte de son voisin et maire Serge Fiorio pour, avant tout, le plaisir de le voir peindre pendant au moins une heure ou deux. Il en avait déjà par avance grande joie et, une fois arrivé au pied du chevalet, partageait toujours ouvertement d'enthousiasme cet heureux temps particulier de se trouver si simplement une nouvelle fois bien sûr aux premières loges dans l'atelier minuscule, si intime, mais parfaitement lumineux face au grand Luberon bleu, blanc, vert ou roux selon la météo du jour, l'heure, et la saison de sa visite.

                     Hiver en forêt, 53x65 cm, est le Fiorio, qu'Henri Cartier-Bresson et Martine Franck avaient choisi ensemble.


Heureusement pour tout le monde que cela ne posait jamais aucun problème à Serge qu'on se tienne dans ses parages immédiats pendant son travail de peintre. Cependant, pour pouvoir avoir sa part active de plaisir et de convivialité à la conversation, le peintre se cantonnait alors à ce moment-là à des détails, ou à des finitions : couvrir de tuiles, une à une, bien alignées, un jeu de toitures, donner du bouffant ou du nerf à un feuillage, crépir de couleur une façade, ajouter un chapeau ou une paire de moustaches à tel ou tel personnage de carnaval, des choses comme ça, jusque-là restées en retard. L'ajout de "fioritures" aussi, comme ils les appelaient lui-même, faisait alors également l'affaire. En ce cas-là, ce genre de choses : border un chemin de menue végétation, ordonner des fleurs et des légumes de toutes sortes dans une parcelle de jardin imaginaire, inscrire des pas mystérieux ou une simple trace sur l'écran d'une neige de nacre, par exemple.

Tient, il est vrai, comme de la magie ou du miracle que d'assister ainsi en direct aux talents "s'incarnant" sous nos yeux sur la toile ! En tout cas, chez Serge à Montjustin, Henri Cartier-Bresson ne s'en privait pas !
Ses yeux clignant sans cesse tant sa jubilation était grande !


André Lombard

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