Pour les cent ans des Mogin

              Les Mogin en compagnie de Lucien Jacques.à droite. Photo Marcel Coen
 

Ne se reflète-ton pas dans ceux que nous aimons ? Non, nous en sommes pétris autant qu'à notre tour pétrissons.
Aussi est-ce sans doute parce qu'ils ne nous ont jamais vraiment quittés pour de bon qu'à travers leurs poèmes et à travers leurs vies, la vie de leurs poèmes, le grand poème de leur vie, j'imagine encore fort bien Lucienne Desnoues – 1921-2004 – et Jean Mogin – 1921-1986 – arrivant aujourd'hui ensemble parmi nous sur leur cent ans : à la fois tels quels, fabuleux, amicaux, dans et hors du temps, les joues en feu et le cœur frais même, pourquoi pas ! – image Delteilienne qui, à mes yeux, sied fort bien à l'un comme à l'autre de ces deux beaux, mais rudes, guerriers spirituels que, chacun sous l'effigie du Poète, ils furent.

Dans un fort affectueux réconfortant message du 18 septembre 1976, adressé à leurs plus proches amis – frères d'armes ! – de la tribu Fiorio lors du "départ" de leur maman justement quasi centenaire, Jean attribue à la défunte la puissance terrestre, terrienne, le giron, en faisant une déesse-mère : cette Déméter  écrit-il. Tandis que Lucienne énumère et récapitule ce que celle-ci représentait pour toute la communauté montjustinienne : Nous tenions tous tellement à elle, pas seulement à cause de l'affection, mais parce qu'elle représentait l'inépuisable, la permanence, le fond des temps plein de richesses.
Ce qui pourrait fort bien, me dis-je, se rapporter aujourd'hui tout aussi bien à l'un et à l'autre, à eux deux.
Et, dans "La centenaire au jardin" (Les Ors, 1966), Lucienne observe, célèbre et vénère en son poème celle-là même qui, depuis son jardin à ciel ouvert l'inspira directement sous ses yeux à Montjustin et que chacune et chacun au petit village appelait familièrement la mémé Fiorio ; vivant alors il est vrai tout à côté d'eux, proche voisine immédiate quand le quatuor Mogin descendait chaque été de Bruxelles pour d'enchanteresses vacances en le beau pays sec dont l'ami Lucien Jacques leur ouvrit grand les portes.
Parce que portrait, ce poème-là, n'est-il pas à deux faces ? Ne peut-on donc pas ainsi y voir Lucienne écrivant en même temps sur elle-même en miroir à travers son modèle ? Dès lors, nous l'y retrouvons là aussi telle qu'en elle-même en son propre jardin dont les plates-bandes de contes, les rangées de poèmes, et la vie tout entière vécue « debout en poésie » lui ont à la fois empêché et permis de vieillir, jusqu'au 4 août 2004, jour fatal où elle rendit l'âme à l'hôpital de Manosque sur les coups de midi.

Grands caractères, au sens que donnait à ce mot La Bruyère, l'un comme l'autre était doué, doublant leur respectif talent d'écrivain, de poète, d'une aura puissante, bienfaitrice du moindre instant passé en l'une ou l'autre de leur compagnie. Qui les a rencontrés, ne serait-ce qu'une seule et unique fois, se souviendra toujours d'elle ou de lui, et bien sûr, si ce fut le cas, des deux ensemble.
Si leur production littéraire est restée de nature artisanale, c'est très volontairement, ayant toujours préféré la qualité à la quantité, Lucienne ajoutant aussitôt pour elle-même, n'en démordant pas : l'actuelle surabondance de tout encourage ma tendance.

Proche d'esprit et de cœur de Marie Gevers, la Colette du Nord, dont elle préfaça Plaisir des météores, Lucienne s'interroge finalement : Je me suis promené, un après-midi, avec elle, à Missembourg (domaine où elle naquit, vécut presque un siècle et mourut), dans l'incroyable odeur, si publiquement séminale des châtaigniers en floraison. Lui ai-je confié l'admirative envie que m'inspiraient l'unité de lieu de son destin, sa leçon d'univers dans un parc, son esprit fécondé chaque année par les mêmes très hauts pollens ?
Ô combien, là encore, une telle scène ramène vers eux quand il arrivait qu’on les voie soudain apparaître, radieux, sur le pas de leur porte, et puis de là se mettre en route pour une promenade ; par exemple en direction de l’est, vers Montfuron, s'enfonçant ainsi, d’un même pas, un pas de deux, au cœur secret du paysage.
 

André Lombard
 

Articles connexes :

Les Mogin, un trio de choix.
Lucienne Desnoues. Bio-bibliographie
Lucienne Desnoues, de nouveau.
Les fables d’Étalon Naïf
Lucienne Desnoues : quelques citations.

En préfaçant Marie Gevers.
Lucien Jacques. Catalogue...
Serge Fiorio, semeur de songes
Marcel Coen
Jean Mogin

Association des Amis de Lucien Jacques.
 

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.