Fiorio-Giono, la récolte des olives !


Tisonnant de nouveau pour moi, tel jour au coin du feu, quelques-uns, pêle-mêle, de ses innombrables souvenirs personnels, Serge Fiorio me raconta cette fois-ci, par exemple, qu'il s'était trouvé plus d’une fois à l’entrée de l’hiver à Manosque, au Paraïs, chez la famille Giono pour la récolte des olives.
Et, selon ses dires, cela s'y passait alors toujours à peu près de la même manière : changé chaque matin en aimable coryphée campagnard, le génial écrivain rassemblait puis emmenait tout son petit monde à pied d'œuvre en son olivette au flanc du Mont d’Or ; les enfants montant aussitôt dans les arbres ou se perchant sur des escabeaux, tandis que deux ou trois personnes amies appelées chaque année en renfort cueillaient debout tout en élaguant sommairement.
Madame Giono, pas très paysanne, assise par terre, dépouillait sagement de leurs fruits les rameaux qu'on lui faisait passer.
Giono, lui, au contraire, armé d'une petite scie égoïne et d'un sécateur — mais sans aucun respect pour l'arbre, selon Serge —, si l'on peut dire, taillait…
Cela sans que chacun jamais n'oublie, Dieu garde, de filer en même temps la conversation !

Il me disait encore avoir vu et entendu un vieux paysan passant par là carrément s'horrifier. Les mains sur la tête et le cœur déchiré, n'en croyant pas ses yeux, il s'interrogeait à voix haute en provençal : Cu es l’assassin qu’a rebrondat aquest olivier ? C'est-à-dire : Qui est donc l'assassin qui a taillé cet olivier ?
L'assassin ? c'était bel et bien Giono qui, plaquant là tout le monde une fois son " forfait" accompli, avait vite regagné son bureau où, sur sa chère table d’écriture perpétuellement envahie de feuillets manuscrits, l'attendait de pied ferme le grand plaisir esthétique – mais pas que ! - de peaufiner cette fois l’histoire (comme l’on sait une commande du Reader’s Digest) de L'homme qui plantait des arbres ; venant tout juste, par un fabuleux trait de plume hyper écolo, d’y doter le bas-alpin Elzéard Bouffier, inlassable héros de ces pages, d'une activité quotidienne rien de moins que purement extraordinaire, l'auteur honorant ainsi pile-poil sur mesure la commande yankee !

Les "tailles" de Jean n'empêchaient aucunement Élise  devant les nombreuses critiques venues du voisinage assurant que son écrivain de mari savait peut-être bien écrire mais certainement pas tailler ses arbres  de déclarer, en écho fidèle à ce que ce dernier lui affirmait de toute sa fameuse très puissante force de conviction verbale, qu'ils étaient les seuls, cette année-là encore, à avoir des olives” !
Et de le croire sans doute, dur comme fer, chaque fois lui-même en premier !... ajoutait Serge, là un tantinet narquois si je ne m’abuse.
 


Cependant, il est pourtant vrai de vrai qu’en le domaine du beau mensonge réconciliant (parce que ouvrant, comme un sésame, sur une réalité radicalement plus enthousiasmante), le peintre était bien de même niveau, sur le même plan, d'égale qualité d'inspiration, de même famille et altitude d’esprit que l'était donc tout autant sans se forcer, lui aussi par nature, l’écrivain manosquin ; livrant pour sa part maintes et maintes fois ouvertement, à de multiples occasions et de diverses manières  — peintures y comprises, bien entendu !  — le fond de sa pensée, son intime conviction d'artiste qu'il résuma ainsi en une phrase particulièrement tranchante : Ceux qui ne sont pas un brin poète sont tous des menteurs !
 

André Lombard

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