À propos du Moulin de Pologne

   Au fait, sais-tu pourquoi ce moulin de Pologne s’appelle ainsi ? demande l’historien occitaniste Jean-Yves Royer engageant la discussion. Et il poursuit ainsi : J’ai entendu dire à je ne sais plus trop qui (Lulu Henry il me semble) que c’est parce qu’en provençal on l’appelait lo molin d’Apollònia, ce qui avait été francisé en moulin de Pologne.
En tout cas, ça m’a toujours paru parfaitement convaincant. D’autant qu’on voit mal ce que la Pologne viendrait faire là…

Certes, cependant que la francisation du nom de cette ferme bas-alpine me semble bien pouvoir plus précisément résulter des erreurs, manquements et autres transgressions des services de l’IGN qui ont (partout en France) fait beaucoup de mal – pour ne pas dire des ravages ! – en le domaine de la transcription des noms de lieux sur leurs cartes.

D’autre part, j’ai le souvenir d’avoir lu dans les notes ou notices de l'édition de la Pléiade – mais sans toutefois me remémorer ce qui pouvait possiblement s'y trouver dévoilé de la véritable origine linguistique du moulin de Pologne  –, que c'est Lulu qui avait donné son titre à Giono. Alors, minute papillon ! je m'en vais vous rapporter ce qu'il en est exactement consigné dans la Pléiade.
Voici le passage repéré et copié, il se trouve au volume V, page 1224 et 1225 : Où l'auteur a-t-il pris le nom du domaine ? La première ligne tracée au verso folio 5 du carnet 24 octobre 1949 offre d'abord le nom de Laban, dont nous ne savons pas s'il s'agit d'un lieu-dit connu de Giono ou d'un souvenir biblique. Mais une surcharge fait du domaine de Laban le Moulin de Pologne. Le chapitre 11 explique ce nom curieux par l'établissement en ces lieux d'un pèlerin polonais.
Le Moulin de Pologne doit en fait son existence littéraire à une rencontre de l'écrivain. Giono précise, dans la postface donnée au Club du meilleur livre, qu'il fut un soir frappé, sur la route qui mène de Cruis à Sigonce, par l'aspect terrifié d'une grange dont il devait découvrir le nom sur la carte d'état-major.
Lors d'un entretien consacré par Robert Ytier à Jean Giono, nous avions entendu Lucien Henry certifier l'authenticité de l'anecdote. Il a bien voulu reprendre son récit pour nous, chez lui, à Forcalquier, en août 1975. Ces vestiges d'un moulin devenus des bâtiments de ferme, Giono les avait découverts pendant la dernière guerre, en se rendant à Montlaux où vivait alors Lucien Jacques. Par la suite, Giono, Lucien Henry et Jean Carrière repérèrent l'endroit et s'informèrent sur l'origine de ce nom. Il leur fut répondu que la ferme avait appartenu à un certain Paul, puis à sa veuve, la
Pauloune, ou Paulougne, et qu'un relevé cadastral avait fait du Moulin de Paulougne, le Moulin de Pologne. La cocasserie de la chose dut amuser Giono, en tout cas il n'oublia pas le nom, qu'il se proposait d'utiliser dans Trois et le vent, où l'on voit le maître du Moulin de Pologne accueillir trois géants en quête de travail ; il le fait glisser ensuite dans la chronique qui succède à cette ébauche.
Si l'on veut rendre visite au vieux moulin, il suffit de prendre la carte d'état-major de Forcalquier (n° 1 et 2 au 1/25.000). On y découvre sans peine ce nom, celui de deux ou trois bâtiments, à trois kilomètres au sud de Cruis, entre la départementale 16 et le cours du Lauzon.
Signalons enfin que le vrai
Moulin de Pologne (longtemps après la composition du roman), n'a pas été lui non plus épargné par le sort. La photocopie d'un entrefilet de journal a été retrouvée dans les papiers de l'écrivain : Une ferme brûle à Montlaux (Basses-Alpes) / Forcalquier. À 11 heures hier matin, un violent incendie a détruit presque entièrement une ferme du territoire de Montlaux, le Moulin de Pologne. Fin de citation.

En fait, c’est peut-être bien cela que m’avait raconté Lulu. Il avait dû me dire qu’il n’y avait rien de polonais là-dedans, mais que cela venait du nom de l’ancienne propriétaire de ce moulin en provençal. Et c’est moi qui, rétrospectivement, ai pu penser qu’il s’agissait de son prénom. Linguistiquement, Paulona/Paulonha ça se tient, vu qu’ici on monophtongue le au ( ocèu pour aucèu ), et donc on prononce Polonha. Dans tous les cas, le nom Pologne vient du provençal, et n’a rien à voir avec la Pologne, précise, récapitule et conclut ainsi Jean-Yves, pratiquant encore une fois ici science et bon sens comme à son habitude.

André Lombard

PS : Toujours à propos de ce titre, mais sur un tout autre registre, j’entends encore l'humble et vénérable Élise Giono déclarer, parlant de la famille dans une ultime interview : À partir de la mort de Lucien Jacques, ça a été Le moulin de Pologne ; signifiant donc par là qu'en 61, les Giono avaient alors bel et bien perdu leur ange gardien et fidèle protecteur en la disparition de cet ami de longue date.

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